Les analystes politiques français affirment que vous avez changé l’apparence du Front national mais non sa substance et que vous jouez un double jeu. Pour 80 % des Français, il n’y a pas de différence entre vous et votre père. Alors qui est la véritable Marine Le Pen ?
Aujourd’hui, tout le monde découvre, avec beaucoup de retard, que notre programme dans sa totalité était déjà parfaitement justifié quand nous l’avons rédigé, il y a trente ans. Il n’y a donc aucune raison que nous en changions. Nous avons été les premiers à sonner l’alarme et à mettre en garde contre les conséquences de la politique d’immigration massive, dont l’une d’elles est la montée d’un islam radical qui refuse d’accepter les lois de la République française. Nous avons été les premiers à nous opposer au transfert de parties de notre souveraineté aux institutions de l’Union européenne, les premiers aussi à rejeter le traité de Maastricht et la mise en place de l’euro, qui maintenant s’effondre sous nos yeux. Puisque nous avons eu raison, pourquoi devrions-nous changer d’orientation ?
Quand votre père a déclaré, en 2005, que l’« occupation nazie n’avait pas été particulièrement inhumaine », vous avez claqué la porte et vous avez été sur le point de quitter le Front national. Cependant, vous avez vous-même créé un scandale quand vous avez comparé les prières des musulmans dans les rues à l’occupation nazie. Fut-ce un lapsus freudien ou une déclaration délibérée ?
Ce ne fut pas un lapsus freudien mais la reprise de propos que j’avais déjà tenus plusieurs fois durant une conférence de presse que j’avais intitulée « Sarkozy, la débâcle ». J’ai comparé la situation d’aujourd’hui à celle de 1940 parce que, avant tout, nous sommes maintenant sous le contrôle monétaire allemand, et, ensuite, parce que des zones entières du territoire national sont dans un état d’occupation, soit parce qu’y sont appliquées les lois religieuses islamiques ou celles de la maffia. Mon intention était d’opposer la laïcité à l’islam radical, d’évoquer le problème du financement des mosquées et de l’absence d’information sur le contenu des sermons de nombre d’imams en France. Mon intention était de montrer que les lois de la république et la souveraineté nationale française disparaissent graduellement. Le débat qui a été provoqué par mes paroles est positif. Pour la première fois dans l’histoire du Front national, l’establishment politique ne s’est pas uni contre nous, mais a couru après nous. C’est du au fait qu’ils ne proposaient aucune solution aux problèmes que nous soulevions.
Ne pensez-vous pas que les récentes lois interdisant la burka et le niqab sont une forme de solution ?
Actuellement, le monde politique manque de courage et de vision d’ensemble. Il interdit ces vêtements, mais il aurait du interdire aussi le port du voile simple en public, car, après tout, c’est aussi une prise de position politique, comme le sont les prières de masse dans les rues. Dans le passé, le gouvernement a permis de clore une rue le temps de la prière. Maintenant, il y en a quinze de fermées et, bientôt, il y en aura cent. À l’origine ils n’utilisaient pas de haut-parleurs, maintenant ils émettent les prières à plein volume. C’est devenu impossible. Il faut ajouter un article à la constitution qui préserve plus strictement la laïcité.
Nombre de vos collègues de l’extrême droite européenne ont récemment visité Israël à l’invitation de colons et de groupes extrémistes de droite israéliens. Qu’elle est votre opinion sur cette alliance ?
Le fait qu’ils partagent des préoccupations similaires concernant l’islam radical explique cette relation… mais il est possible qu’en plus de cela il y ait un besoin d’avoir des visiteurs venant d’Europe pour modifier l’image qu’y a leur pays… Pour autant que leurs partenaires en Israël soient concernés, je ne comprends pas, pour ma part, la volonté de poursuivre la politique de développement des colonies. Je considère qu’il s’agit d’une erreur politique et j’aimerais qu’il soit clair, dans ce contexte, que nous devons avoir le droit de critiquer la politique de l’État d’Israël, comme celle de tout État souverain, sans être taxés d’antisémitisme. Après tout, le Front national a toujours été favorable au sionisme et a toujours défendu le droit à l’existence d’Israël.
Est-ce que le fait que de rabiques antisémites d’hier se présentent maintenant comme des islamophobes ne prouve pas que l’antisémitisme n’est plus payant dans l’Europe actuelle ?
Il n’y a pas d’antisémitisme européen actuellement. Celui-ci a disparu au lendemain de la deuxième guerre mondiale. L’antisémitisme qui se développe de nos jours est islamique et lié au conflit israélo-palestinien. Comme je l’ai déjà déclaré, actuellement en France, il y a des zones importantes où il n’est pas bon d’être un juif, une femme, un homosexuel ou même un Français de souche ordinaire.
À ce propos, l’ex-commissaire européen Frits Bolkestein a déclaré que les juifs hollandais feraient mieux d’émigrer en Israël ou aux États-Unis, car il n’était plus possible de les protéger. Qu’en est-il des juifs de France ?
Les juifs de France sont des Français, ils sont chez eux ici et ils doivent y demeurer et non pas émigrer. L’État a le devoir de trouver des solutions pour les zones devenues problématiques du fait du développement de l’islam radical.
Selon certains sondages, un juif, le président du Fonds monétaire international, Dominique Strauss-Kahn, pourrait être le prochain président de la République française. Est-ce qu’il est possible qu’un juif devienne le président de la France ?
Bien sûr. Strauss-Kahn affirme que 5 % des Français ne voteront jamais pour un juif. Il oublie de dire qu’il y en a aussi vraisemblablement 5 % qui ne voteront jamais pour une femme. Contrairement à l’image que l’on tente de coller à la France, notre pays est le moins raciste du monde. Ici, on ne juge pas les gens sur leur couleur ou sur leur religion, mais sur leurs valeurs. C’est ce qu’on nomme une méritocratie ; c’est un principe très important et de grande valeur pour les Français. Contrairement à la culture anglo-saxonne, la culture française est influencée, sur ce point, par le christianisme qui juge les êtres humains et non pas les communautés.
Et un président musulman, est-ce que c’est possible ?
Tout est possible. Il y a 10 millions de musulmans en France. Les musulmans, quand ils sont français bien sûr, ne votent pas comme une communauté mais comme le reste de la population. Si, par contre, dans le cadre du renforcement de l’islam radical dans notre pays, un candidat se présentait pour être le port-parole exclusivement la communauté musulmane, ce serait quelque chose de terriblement négatif.
Des rabbins israéliens ont publié une déclaration demandant aux juifs de ne pas louer de biens à des arabes. Que pensez-vous de cela ?
Ces Arabes sont des Israéliens, n’est-ce pas ? Alors dans ce cas, ils doivent être traités comme n’importe quel autre citoyen. C’est à l’État de décider qui obtient la citoyenneté, mais à partir du moment où quelqu’un devient citoyen d’un pays, il doit bénéficier des mêmes droits que les autres citoyens de celui-ci.
Quelle est votre opinion sur la manière dont la société israélienne aborde le problème de l’immigration clandestine et, plus particulièrement, sur l’idée de construire une clôture à la frontière avec l’Égypte et un camp de détention dans le sud du pays ?
Si nous disions en France ne serait-ce qu’un millième de ce qui est dit en Israël sur ce sujet, nous irions immédiatement en prison pour incitation à la haine raciale. De manière concrète, un État doit adopter une politique préventive et effective vis-à-vis de l’immigration. Celle-ci doit inclure des poursuites judiciaires pour les employeurs d’immigrés illégaux et de lourdes sanctions financières. Il faut aussi mettre en application l’idée de préférence nationale et abolir toutes les incitations à l’immigration, par exemple la sécurité sociale, l’éducation gratuite pour les enfants, l’accès aux services de santé et de logement. Les autres mesures, par exemple le rapatriement des immigrés, ne fonctionnent pas. Tant qu’il y a des tentations, les immigrés continuent à venir. Je les comprends : même s’ils n’ont pas de travail ici, grâce au chômage, ils ont plus de revenus que s’ils étaient au travail chez eux. Quand ils n’auront plus de raisons d’immigrer, ils cesseront tout simplement de venir.
En 2004, dans le premier entretien que vous avez accordé à Haaretz, en commun avec votre père, vous avez dénoncé le président Chirac pour sa déclaration de 1995 dans laquelle il avait accepté, au nom de la France, la responsabilité pour les crimes du régime de Vichy. Êtes vous prête, aujourd’hui, à dénoncer le régime du maréchal Philippe Pétain et les crimes du fascisme français ?
Absolument pas ! Tout d’abord je me refuse à dire du mal de mon pays. Ensuite, je suis convaincue que Jacques Chirac a eu tort. Ce n’était pas la France qui était responsable, ce n’était pas l’État français, c’était un régime. C’est une erreur de faire de constants et systématiques mea culpa. Nous devons accepter notre pays tel qu’il est avec ses périodes de splendeur et celles qui le sont moins, avec ses erreurs, ses drames et ses désastres. L’histoire de la France est de très longue durée. Il convient de la traiter comme un tout et non de la découper en tranches de salami sans connections les unes avec les autres, afin de se donner politiquement un beau rôle.
Traduction par Pierre Lanoë de Haaretz
Nations Presse Info - 08/01/11