L'air guerrier, Jean-Marie Le Pen s'avance sur scène. Les bras levés, le vieux chef de 84 ans contemple les quelque 1 000 militants qui l'acclament par son prénom. Le "chant des esclaves" de l'opéra Nabucco de Verdi retentit et plonge la salle du palais des Congrès de La Baule dans une atmosphère solennelle. Même s'il n'est plus en première ligne, Jean-Marie Le Pen est toujours adulé par ses militants. En ce samedi soir, c'est son heure de gloire : il est à la tribune pour prononcer un discours sur l'immigration, l'un de ses thèmes de prédilection. Sans se départir de son goût de la provocation, le député européen lance d'un ton alarmant : "Le temps nous est compté. Il est un problème qui menace d'échapper à l'action du politique, c'est celui de l'immigration. (...) L'immigration est devenue une invasion que subissent les Français depuis près de 40 ans."
"Violences sauvages"
Pendant une heure, assis sur une chaise blanche, Jean-Marie Le Pen tape comme un sourd sur les musulmans en assénant une série d'affirmations à l'emporte-pièce : "Les immigrés sont souvent de race, de moeurs et de religion très différentes des Français de souche", "le fait que l'immigration soit en majorité de religion musulmane fait que les exigences sont de plus en plus pressantes", "les émeutiers musulmans sont capables de violences sauvages" ou encore "l'islamisme s'affiche de façon arrogante". Les populations d'origine rom ne sont pas épargnées : "Ceux-là disent : Nous, nous sommes comme les oiseaux, nous volons naturellement", souffle Le Pen à leur sujet. Plus tôt dans la journée, la présidente du parti frontiste, Marine Le Pen, avait aussi ciblé l'islam en défendant sa proposition d'interdire le voile et la kippa dans les lieux publics. Elle avait déploré ainsi "la multiplication exponentielle du voile en France et de la djellaba, surtout dans certains quartiers", tout en jugeant "évident que la kippa ne pose pas de problème dans notre pays".
Anticipant les critiques, Jean-Marie Le Pen tente de se justifier tant bien que mal. "Vous allez dire Le Pen ressort sa vieille rengaine, Marine Le Pen se radicalise, mais quand on a l'impression de détenir la vérité, pourquoi cesser de la dire ?" s'interroge-t-il. Et de plaider pour la fin du regroupement familial, la "préférence nationale" et la suppression du droit du sol. "Le droit du sol est une disposition qui ferait qu'une chèvre née dans une étable serait un cheval", juge-t-il l'air content de sa formule.
Main droite sur le coeur
Au bout d'une heure, une petite main organisatrice augmente un peu la lumière de la salle, histoire de faire comprendre au vieux chef qu'il est temps de conclure. Il se lève alors en courbant l'échine. Si sa santé est bonne, le poids des années se fait sentir. Son regard embrasse la salle. Il savoure les applaudissements et contemple l'oeuvre de sa vie : en octobre, le FN célébrera ses quarante ans. Désireux d'atténuer sans doute un peu la violence de ses propos, il embraye : "Je me rends compte que ce que j'ai dit peut être cruel, mais la vérité est dure à regarder en face." Puis, s'avançant au bord de la scène, il met la main droite sur le coeur et s'incline pour saluer tout spécialement sa fille Marine Le Pen. Assise au premier rang, celle-ci ne l'a pas quitté des yeux pendant tout le discours. Le sourire aux lèvres, Marine Le Pen fixe son père et lui rend son salut. En un regard, ils se sont tout dit. Ce soir, il n'y aura pas d'embrassade du père et de la fille cadette devant les caméras. Jean-Marie Le Pen savoure son moment de gloire, et quitte la salle, triomphant.
Le Point- 23/09/12