" - La démocratie en France, quelle réalité politique aujourd’hui ? Je listerai ici quelques aspects (non exhaustifs) de la démocratie sous la présidence de Sarkozy et qui me paraissent nettement en situation de devoir être améliorés :
- La gouvernance des conseillers : beaucoup le font remarquer, y compris dans le camp de la majorité (Villepin, Dupont-Aignan...), la place des conseillers du président occupent une place trop importante dans les interventions officielles alors qu’ils n’ont aucun statut d’élus ni de décideurs gouvernementaux. Ils ne sont en aucune façon l’émanation du peuple.
- Le "programme" de M. Attali : Jacques Attali veut imposer aux Français une sorte de programme pour lequel ils n’ont pas voté ! Sans juger du contenu, on voit que la manoeuvre est une tromperie car ce programme ne figurait pas dans le projet du candidat Sarkozy. De plus, Jacques Attali a toujours refusé de solliciter le suffrage du peuple même localement. Pour prendre soin de la démocratie, ne faut-il pas l’avoir testée et même subie ?
- La "dictature majoritaire" à l’Assemblée (mode de scrutin défavorable aux minorités) et les règles constitutionnelles peu démocratiques parmi lesquelles le recours aux ordonnances (délégation par le Parlement de son pouvoir législatif qu’il tient du peuple), vote bloqué, maîtrise par le seul gouvernement de l’ordre du jour de l’Assemblée (ce qui conduit à ne tenir compte que des projets de loi et pas des propositions de loi).
- Le non-respect de la fonction de président de la République française : ce point est tellement flagrant que le président du Conseil constitutionnel (Jean-Louis Debré) est sorti de sa réserve pour le dénoncer, fait rarissime dans l’Histoire depuis l’existence de cette institution. Les leaders politiques de tous bords l’ont déjà signalé : la fonction présidentielle n’est pas habitée, le président préférant se comporter tantôt en VRP tantôt en super ministre tantôt encore en justicier. Je n’insisterai donc pas.
- L’"expertisme" de Nicolas Sarkozy : ce terme d’expertisme est employé par Jacques Sapir pour désigner le fait d’émettre des avis sans donner de possibilité de vérification (dictature de l’urgence ou de l’émotion, par exemple) et de se présenter comme un simple donneur d’avis alors que l’on joue le rôle de décideur.
- Un parti godillot : l’UMP ne connaît plus de fonctionnement démocratique, le président ayant supprimé le caractère électif de chef de parti et ayant divisé la fonction de direction entre concurrents. Au contraire, d’autres partis n’ont de cesse d’améliorer leur fonctionnement démocratique interne : le PS et le MoDem notamment. L’UMP est à contre-courant de l’évolution démocratique et semble plus figée que jamais !
- La domination par l’argent : la "nuit du Fouquet’s" comme se plaît à l’appeler François Bayrou a été comme une nuit du 4 août 1789 à l’envers ! Elle a marqué le rétablissement symbolique des privilèges. Mais dans une bonne démocratie, les décisions sont-elles exclusivement dictées par les puissances d’argent et le profit ?
II - La démocratie comme projet
La confusion de départ, chez Sarkozy, entre productivisme et démocratie conduit à diriger la France comme une entreprise, méprisant la dimension démocratique et citoyenne : pas de débat sauf en comités d’experts bien choisis, décision finale par un seul homme qui se comporte en "patron", allant au-devant de ses ouvriers et répétant ses ordres "je veux, je veux, je veux !" Pas de référendum sur une question pourtant déjà soumise au peuple, celle du Traité européen. Pour donner le change est ajoutée au dernier moment une illusoire "politique de civilisation" et un simulacre d’humanisme uniquement teinté d’idéologie religieuse. Ce "patch" ne changera pas la nature du sarkozisme, ne lui conférera aucune élévation théorique, aucune transcendance démocratique non plus puisque gérer la société comme une entreprise n’a, à la base, rien de démocratique.
Le projet d’amélioration de la démocratie ne peut pas avancer sur ces bases. Il s’agit d’améliorer la démocratie, c’est-à-dire au sens littéral de la rendre meilleure. Le meilleur ne tire pas vers le quantitatif : il ne s’agit pas d’aller vers le "plus" mais vers le mieux". Contrairement à ce que dit le dicton, le mieux n’est pas l’ennemi du bien. Son véritable ennemi c’est le "plus". Ne dit-on pas souvent "c’était mieux avant et pourtant on avait moins." ? Ne dit-on pas aussi que l’on recherche le meilleur pour ses enfants, n’est-ce pas là l’idée même de progrès ? Combler pour ses enfants des manques que l’on a soi-même connus, éloigner des souffrances que l’on a trop endurées. Or, que trouve-t-on dans le sarkozisme ? Du "plus" surtout !
Si l’on s’adresse aux gens comme à une masse, on s’inscrit dans une logique de quantité : ainsi l’usage des mass médias à des fins de propagande politique. Dans le projet de démocratie, l’exigence doit être portée ailleurs : sur l’éducation, la connaissance, la réalisation de soi, le relationnel, la vie démocratique, la protection de la vie et de l’environnement, la justice dans son véritable esprit de justice, pas la justice justicière... Il ne s’agit pas de posséder toujours plus ni de toujours travailler plus. Il ne saurait s’agir non plus d’une civilisation imposée par le pouvoir, du haut vers le bas, de l’esprit d’un homme vers les citoyens. D’ailleurs, où voit-on dans le sarkozisme un esprit de civilisation ? On y voit plutôt une politique de conjoncture, voire de circonstances. Si l’on renonce à cette exigence de mieux, on n’est plus dans le projet démocratique ni dans une démarche de civilisation. Comme le dit Edgar Morin, renoncer au meilleur des mondes ne doit pas conduire à renoncer à un monde meilleur.
Pour s’être glissé dans le costume de patron, Sarkozy n’a jamais endossé celui de président de la République. Metteur en scène et acteur, il est aussi son premier spectateur. Sarkozy s’est éloigné de la réalité en construisant avec l’aide complaisante des médias une autre réalité qui n’est pas la réalité que côtoient les Français au quotidien. Aujourd’hui, une France sans président se trouve prise de convulsions ; elle erre complètement désorientée à cause d’un homme qui a brouillé tous les repères et bougé toutes les lignes sans rien proposer à la place de consistant. Et pour cause ! Sarkozy n’incarne rien. L’historien Jacques Le Goff déclare qu’il n’est pas la cause de tout, mais le produit d’une génération politique et le produit d’un système, "produit et accélérateur", précise-t-il. J’ajoute que Sarkozy ne maîtrise ni ce qu’il fait ni ce qu’il est. Electron libre qui tourne sur lui-même, il n’est en réalité que la courroie de transmission d’un univers qui le dépasse et le domine - la mondialisation, les puissances d’argent, la course à la croissance - et dont il sert les intérêts. Sarkozy n’est ni un visionnaire ni un homme capable d’imprimer sa marque en bravant l’opinion, ni un être d’exceptionnelle envergure. En fait, tout se passe comme s’il n’avait pas de personnalité propre : il est parfaitement interchangeable ! Un autre leader doué dans l’art d’utiliser les médias, un clone, pourrait prendre sa place demain au pied levé.
Mais peu importe Sarkozy, ce qui est préoccupant aujourd’hui, c’est ce peuple égaré à l’image de son patron, un corps sans tête qui s’agite en tous sens. Une seule chose peut le sauver : un projet de société plus démocratique. "
AGORA VOX - 07.02.08