Richard Prasquier, président du Crif
Stables ces deux dernières années, les actes antisémites ont connu une envolée depuis le début 2009, principalement dans les quartiers populaires. S’il faut y voir les conséquences sur le territoire français de l’offensive israélienne dans la bande de Gaza en janvier, beaucoup craignent aujourd’hui que les causes du mal soient plus profondes et plus durables...
- Demain soir, à l’occasion du dîner du Crif (Conseil représentatif des institutions juives de France), son président, Richard Prasquier, reviendra sur les motifs d’inquiétudes que partagent à des degrés divers les 600 000 juifs de France, la plus importante communauté d’Europe.
Car, au-delà des statistiques, c’est un climat délétère alimenté par les "errances" d’un Dieudonné ou les propos d’islamistes radicaux,il s'inquiète d’une « dérive » antijuive possible à la faveur de la crise économique actuelle.
"Les juifs en France ne sont plus discriminés, mais ils se sentent menacés et incompris. Ils demandent à l’Etat de les protéger."
C’est tout l’objet du dîner du Crif, et c’est une rupture avec le modèle républicain classique qui est : vous pouvez être juif dans le privé, mais dans l’espace public, il n’y a que des citoyens français », analyse le sociologue Michel Wieworka (auteur de « la Tentation antisémite », Hachette). « Les juifs ont des raisons objectives de s’inquiéter mais il y a aussi de leur part une dramatisation permanente », poursuit-il.
Signe du malaise ambiant : ce dîner, au cours duquel Nicolas Sarközy devrait prendre la parole comme il l’avait fait l’an dernier, se déroulera sans les représentants du Parti communiste.
Le Crif reproche en effet à ses leaders d’avoir comme Olivier Besancenot ou plusieurs élus verts participé à des défilés où des slogans antisémites étaient lancés.
Ce rendez-vous annuel intervient en plus en pleine affaire Williamson. Les déclarations négationnistes de l’évêque britannique, tenues le 21 janvier, ont évidemment profondément heurté et troublé la communauté juive et de nombreux chrétiens. En ce sens, le prochain voyage du pape en Israël devrait permettre à Benoît XVI de procéder à des clarifications qui deviennent urgentes.
Et Richard Prasquier continue dans une interview:
Mgr Williamson, l’évêque d’extrême droite dont le credo négationniste a fait scandale, vient de demander « pardon » à tous ceux que ses propos auraient blessés…
Ce « pardon » laborieux à l’Eglise et aux familles des victimes de « l’injustice nazie » est un non-événement. On attendra longtemps avant qu’il renie ses déclarations négationnistes. Ce qui me préoccupe dans cette affaire, c’est de m’être rendu compte que, pour les membres de la commission chargée des négociations en vue de la levée de l’excommunication, ces déclarations n’ont pas été considérées comme particulièrement graves. Or la négation du génocide est un énorme mensonge, une manifestation particulièrement abjecte d’antisémitisme, un crime contre la morale.
Vous voulez dire que, lorsque Mgr Williamson a été réintégré dans l’Eglise, ceux qui ont poussé le pape à cela connaissaient parfaitement ses convictions ?
Oui. Au Vatican, on ne pouvait pas ne pas connaître les prises de positions anciennes et répétées de Williamson. Cela dit, le dialogue judéo-catholique continuera, et ce n’est pas Williamson qui le brisera. Le pape a dit que la négation de la Shoah est inconcevable. Il a réaffirmé sa solidarité avec les juifs. Et il a demandé aux intégristes d’accepter le concile Vatican II, marqué notamment par la reconnaissance de la filiation entre judaïsme et chrétienté.
Le projet de béatification du pape Pie XII dont le silence pendant la Seconde Guerre mondiale continue de provoquer polémiques et malaise ne risque-t-il d’être un sujet de conflit ?
Si l’Eglise prenait la responsabilité de béatifier Pie XII avant que les historiens aient eu accès aux archives complètes du Vatican, elle provoquerait une rupture grave avec le monde juif.
Avant et pendant la guerre, alors que l’Eglise avait besoin d’un prophète, Pie XII s’est conduit comme un diplomate, et un mauvais diplomate. Après 1945, alors que le nazisme s’était effondré et qu’il n’y avait plus aucun risque ni pour les prêtres ni pour l’Eglise, jamais il n’a parlé de la Shoah, ce qui suggère que, pour lui, il s’agissait d’un événement d’importance secondaire.
Qu’espérez-vous du voyage de Benoît XVI en Israël en mai ?
J’espère que ce voyage apportera beaucoup d’éclaircissements et d’apaisement, notamment lorsque le pape ira au mémorial de Yad Vashem. Et qu’il se situera dans la ligne du voyage de Jean-Paul II qui a énormément contribué au rapprochement entre juifs et catholiques.
(Source: Le Parisien - 1er mars 2009)