Né à Budapest le 2 mai 1860, le père du sionisme politique moderne a été élevé dans l'esprit des Lumières judéo-allemandes de l'époque. Il baigne dans une culture laïque. Son père, issu de l'immigration de la partie orientale de l'empire austro-hongrois, se définit lui-même comme réformiste et demeure un partisan de l'assimilation des Juifs au sein de leurs terres d'accueil.
“A Bâle j’ai fondé l’Etat juif,... Dans cinq ans, peut-être, dans cinquante ans sûrement, tout le monde le reconnaîtra.” Cinquante ans après qu’Herzl a écrit ces lignes, l’Etat d’Israël voyait le jour.
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En 1878, la famille s'installe à Vienne, où Herzl poursuit son cursus universitaire. En 1884, il obtient son doctorat de droit et entame une carrière d'écrivain, d'auteur dramatique et de journaliste. Il devient rapidement le correspondant, à Paris, du Neue Freie Presse, prestigieux quotidien viennois et le plus influent.
L'affaire Dreyfus : le catalyseur
Il est couramment admis que c'est l'affaire Dreyfus qui a permis la prise de conscience du jeune homme de 34 ans. Mais Claude Klein, entre autres chercheurs, revient sur cette version dans son livre Essai sur le sionisme. Selon ce professeur de droit de l'Université hébraïque de Jérusalem, "la réalité est évidemment bien loin de cette fiction". Et de préciser que "la question juive et l'antisémitisme n'ont jamais cessé de hanter Théodore Herzl".
Quoi qu'il en soit, l'affaire Dreyfus résonne comme un coup de tonnerre pour la communauté juive dans son ensemble, et le journaliste en particulier, qui suit de près chacune des étapes du procès. Le capitaine Alfred Dreyfus, officier juif de l'armée française, est accusé à tort, en 1894, de trahison à la suite de fausses lettres compromettantes, fomentées par un général antisémite que sa hiérarchie protège. Les foules s'en donnent à cœur joie et hurlent "Mort aux Juifs !"
Pour Herzl, une seule conclusion s'impose : permettre l'immigration en masse des Juifs, vers un pays bien à eux. Conscient que l'antisémitisme restera une donnée immuable de la société humaine, et que même l'assimilation ne pourra la résorber, il publie en 1896 son manifeste Der Judenstaat (L'Etat juif). Au risque de s'exposer au ridicule de ses pairs et des dirigeants juifs de l'époque, Herzl le visionnaire avance que le problème juif n'est pas d'ordre individuel mais national. Selon lui, les Juifs ne pourront être acceptés qu'en cessant de sortir des normes en place. Il expose dans son ouvrage les trois principes fondamentaux du sionisme : l'existence d'un peuple juif, l'impossibilité de son assimilation et la nécessité de créer un Etat qui lui sera propre.
Le combat de sa vie est désormais lancé. Herzl propose un programme de collecte de fonds auprès des Juifs du monde par le biais d'un organisme qui prend le nom d'Organisation sioniste. Il rêve déjà du futur Etat, basé sur le modèle européen : moderne et éclairé, laïc et aspirant à la paix. Il se tourne ainsi successivement vers le Baron Edmond de Rothschild qui a déjà entrepris l'achat de terres en Palestine depuis 1882 et vers le financier Maurice de Hirsch. Il sollicite également des lettres de soutien auprès de personnalités de l'époque, comme le pape Pie X, le roi Victor-Emmanuel III d'Italie ou le Premier ministre de la colonie du Cap en Afrique du Sud, Cecil Rhodes. En avril 1896, il se rend à Istanbul, en Turquie, et à Sofia, en Bulgarie, pour rencontrer des délégations juives.
Août 1897 : un congrès décisif
Ses idées sont accueillies avec enthousiasme par les Juifs d'Europe orientale mais séduisent moins les dirigeants juifs de l'époque. Herzl, avec l'aide de Max Nordau, réussit tout de même à rassembler à Bâle, du 29 au 31 août 1897, le premier Congrès sioniste qu'il préside. La première réunion transnationale juive.
Aux trois fondements du sionisme cités plus haut, le Congrès de Bâle en ajoute un quatrième : le droit des Juifs à s'installer en terre d'Israël. "Le sionisme aspire à établir en Palestine, pour le peuple juif, un foyer garanti par le droit public", proclament les délégués.
L'élan d'Herzl ne s'essouffle pas. Il fonde, à grands frais personnels, un hebdomadaire sioniste, Die Welt, et chaque année, le congrès sioniste se réunit en forum international. En 1936, le siège du mouvement est transféré à Jérusalem. En 1902, le visionnaire écrit Altneuland - Pays ancien, pays nouveau - roman sioniste où il décrit le futur Etat juif. Herzl imagine une société nouvelle basée sur un mode coopératif sur fond de science et de technologie. Le pionnier du sionisme a des idées très précises quant à la structure politique de l'Etat.
D'autres domaines soulèvent nombre de questions : lois sociales, relation entre religion et Etat, ou immigration et relations diplomatiques. Le livre exerce un fort impact et devient le symbole de la vision sioniste d'Israël.
Convaincre les nations du monde
Herzl souhaite persuader les grandes puissances du bien-fondé de son combat. Il se rend en Israël et à Istanbul en 1898 pour rencontrer le Kaiser Guillaume II d'Allemagne et le sultan de l'Empire ottoman. Ses efforts se révèlent infructueux, il ne reçoit ni les encouragements ni le soutien espérés. Il se tourne alors vers la Grande-Bretagne et s'entretient avec Joseph Chamberlain. Le ministre britannique des Colonies lui permet de négocier avec le gouvernement égyptien une charte pour l'installation des Juifs dans la région d'Al-Arish, dans la péninsule du Sinaï, jouxtant le sud de la Palestine. Le projet le conduit jusqu'au Caire mais échoue encore une fois.
En août 1903, le gouvernement britannique, par l'intermédiaire de Leopold Jacob Greenberg, propose de créer une région autonome juive, sous souveraineté britannique, en Afrique orientale, en Ouganda. La proposition fait son petit bonhomme de chemin. En 1903, le pogrom de Kichinev et les persécutions qui frappent les Juifs russes parviennent à convaincre Herzl de la légitimité de cette idée. Il entreprend un voyage à Saint-Pétersbourg afin de se rendre compte, par lui-même, de la situation. Sergei Witte, alors ministre des Finances, et Viatcheslav Plehve, ministre de l'Intérieur, le reçoivent. Herzl leur expose ses idées et propose à Plehve, antisémite notoire et tenu pour responsable desdits pogroms, une véritable alliance. "Soutenez mon projet, je vous débarrasserai de vos révolutionnaires juifs !"
Cette même année, il propose devant le sixième Congrès sioniste le "projet Ouganda". Il s'agit, de son point de vue, de fonder un refuge temporaire aux Juifs menacés qui n'affectera pas l'objectif en vue : la création d'une entité juive en Eretz Israël. Il précise sa pensée et justifie son point de vue, mais suscite un tollé au congrès et manque de provoquer une scission du mouvement sioniste. En 1905, le congrès rejette définitivement le programme ougandais et s'engage à créer un Etat juif sur la terre historique d'Israël.
Son surmenage et ses efforts incessants viennent à bout de ses résistances. Herzl développe des problèmes cardiaques et, en 1904, une pneumonie le terrasse. S'il n'a pas vécu la naissance de l'Etat hébreu, l'homme a permis au mouvement sioniste de trouver sa place sur l'échiquier politique mondial. Ultime hommage : son corps, ainsi que ceux de ses parents, Yaakov et Jeannette, et de sa sœur Pauline sont réinhumés en 1949 sur le mont qui porte son nom, à Jérusalem.
JERUSALEM POST - 02/05/10