Jean-Michel Aphatie : Bonjour, Bernard Kouchner.
Bernard Kouchner : Bonjour.
"Nous sommes au bord du gouffre !". Voilà ce qu'a dit, hier soir, le Président de la République grecque, après la grève générale dont le déroulement a entraîné la mort de trois personnes à Athènes. Partagez-vous ce sentiment, Bernard Kouchner : la Grèce est-elle au bord du gouffre ?
La Grèce va mal. La Grèce va se redresser. Nous allons l'aider. Je veux d'abord saluer le courage de Georges Papandreou...
... Le Premier ministre grec.
Son attitude face à la difficulté et le courage du peuple grec car ne croyez pas que ce qui s'est passé, hier, ces violences terribles et trois morts hélas - trois morts - asphyxiés dans une banque où ces gens, des manifestants - des manifestants, pas tous -, avaient mis le feu, représentent la Grèce. Au contraire, après ce qui s'est passé d'horrible, hier, la Grèce est encore plus, je crois, au soutien de Georges Papandreou dont, encore une fois j'admire l'autorité et le courage.
Vous dites, la Grèce va se redresser, Bernard Kouchner, mais beaucoup d'économistes, beaucoup d'observateurs pensent que le plan de rigueur qui lui est imposé est beaucoup trop violent et que loin de se redresser, elle pourrait bien ployer le genou.
Les économistes sont les critiques, pas les payeurs. Les économistes ne sont jamais contents. Les économistes, il faudrait peut-être moins les écouter, écouter un peu plus le bon sens, la politique et les populations. Je ne crois pas à ce qu'ils disent. Je ne crois pas à ce qu'ils disent...
Mais le bon sens... Le bon sens suggère...
Surtout ceux qui suivent le marché pour en profiter.
Le bon sens suggère que la purge qui est imposée à la Grèce, elle en est en partie responsable, ne l'aidera pas à se relever, à rembourser ses dettes mais l'empêchera plutôt de le faire ?
Je crois le contraire. Je crois que c'est une exigence.D'abord, il nous faut - nous, les Français, les Européens -, aider la Grèce. Il y va non seulement du sort de ce pays que nous aimons mais du sort de notre monnaie. C'est notre monnaie que nous défendons et c'est notre niveau de vie que nous défendons. C'est en aidant la Grèce et en n'autorisant plus par des réformes indispensables, que les dérives soient à ce point dommageable, c'est en aidant la Grèce que nous allons pouvoir poursuivre ce rêve européen.
Beaucoup de voix là aussi s'élèvent pour dire peut-être qu'il serait plus sage que la Grèce quitte l'Euro pour ne pas entrainer tout le monde dans une éventuelle chute ?
Cette huile-là se jette sur ce feu déjà trop gros, le feu déclenché par les émeutiers. Qu'est-ce que vous voulez dire ? Est-ce qu'il faudrait arrêter l'Europe ? Voyons, vous n'y songez pas !
C'est inenvisageable que la Grèce quitte la zone Euro ?
Reprenne le drachme ?
Par exemple, oui. C'est inenvisageable ?
Je crois que ce serait d'abord une très, très, très grosse faute pour eux ; et ensuite, sur le plan européen, ce ne serait pas supportable. D'abord, la population grecque souffrirait beaucoup plus encore qu'elle ne souffre, et je sais qu'elle souffre, et je pense que se réunir à Bruxelles pour décider d'un plan de rigueur, c'est beaucoup plus simple que d'appliquer ce plan de rigueur aux retraités, à ceux qui vont voir supprimés (mais fallait-il leur donner !) le treizième, puis le quatorzième mois ? A ceux qui prenaient leur retraite à 57 ans alors que le monde entier se met à travailler plus ? Tout ça n'était pas sérieux.
Et c'est d'ailleurs pour ça qu'un Premier ministre grec récent avait pratiquement démissionné voyant la réalité lui sauter à la gorge. Non, ce serait pire ! Il ne faut pas affaiblir l'Europe, elle est déjà dans un état difficile, il faut la renforcer, y croire ; et si vous m'avez posé la première question, Georges Papandreou disant : "Nous sommes devant le gouffre"... Bon, il ne faut pas aller en avant ou alors il faut faire un pont ; en tout cas, il faut se reculer pour ne pas tomber dans le gouffre.
Cette crise nous permet de regarder le fonctionnement de l'Europe et de noter tout ce qui ne va pas. Le plan a été tardif...
Le plan ? Vous voulez dire de sauvetage ?
Le plan de sauvetage... Et Angela Merkel, la chancelière allemande, semble avoir une lourde part de responsabilités dans le déclenchement de ce plan ?
Elle a été plus tardive ; mais quand même, ça a été fait. Ca a commencé sous l'impulsion de la France...
Pourquoi a-t-elle été plus tardive ?
Parce qu'elle a une coalition difficile, des élections qui se présentent demain et puis, parce qu'il fallait convaincre aussi. Vous comprenez, quand vous dites aux Allemands...
Vous convenez que cela a aggravé la crise, ou en tout cas la résolution plus difficile ?
Mais elle n'était pas seule. Les seuls qui n'ont pas aggravé la crise, ce sont les Français qui ont commencé à exiger un plan de rigueur, et surtout une aide à la Grèce, au début février.
Mais vous comprenez quand vous dites aux Allemands : la France et l'Allemagne sont à ce point de stabilité que ce sont les deux pays à qui on continue de prêter volontiers mais surtout qui prouvent que leur économie est saine, qui l'ont prouvé. Quand vous dites aux Allemands qui vont prendre leur retraite à 67 ans, qu'il faut payer pour ceux qui la prenaient à 57, je comprends qu'ils hésitent un petit peu.
Ca aurait pu être plus rapide, pas seulement à cause de l'Allemagne. Il fallait aussi changer... Vous savez, il était interdit dans cette zone Euro - les seize pays de l'Euro ne pouvaient pas s'aider les uns les autres parce qu'il y avait des critères qui avaient été acceptés et qui faisaient des critères d'équilibre budgétaire, etc. Hélas, tout ça devait se modifier et se modifiera de façon beaucoup plus automatique et saine, je le crois. Nous avons été surpris, peut-être aurions-nous dû nous méfier beaucoup plus.
D'accord. Tous les responsables politiques français disent : nous ne risquons pas la contagion.
Ils ont raison.
Vous le diriez, ce matin, au micro de RTL, Bernard Kouchner ?
Mais bien sûr ! Nous ne risquons pas la contagion, je vous dis : nous sommes les mieux notés. Notre signature, comme on dit... Notre signature économique...
Ca va, ça vient la note visiblement ?
Non, non, ça ne va pas, ça vient. Non, c'est A-A-A. On ne peut pas faire mieux.
Oui mais ! Et puis, un jour, on est A-A.
Ah peut-être un jour ! Mais pour ça, il faut conduire une politique que nous conduisons maintenant. Il ne faut pas commencer à dire qu'on n'a pas besoin de changer nos retraites, par exemple.
C'est ce qu'a dit le Premier ministre, hier : il faut baisser la dépense publique ?
Mais ce n'est pas une raison... Ca ne fait que le répéter.
Mais il faut employer le mot qui fâche ou pas ?
Le mot qui fâche ?
La rigueur ? On y est ?
Non, rigueur ou pas, ce n'est pas un plan de rigueur qui est en train de se dérouler ? C'est une rigueur intellectuelle, c'est la rigueur du courage et (comment dirais-je) de l'élémentaire aide - soutien. Je crois vraiment, il n'y a rien d'autre à faire. Il n'y a rien d'autre à faire. Ensuite, il faut s'interroger et nous nous interrogerons sur les réformes nécessaires.
Mais franchement, allons-nous abandonner les Grecs ? Est-ce possible ? Pour la première fois, en France, l'Opposition et la Majorité votent ensemble. C'est pas mal ça ! Il y a une vraie acceptation de ces sacrifices que l'on fait pour les autres, mais vraiment en même temps nous les faisons pour nous, pour notre niveau de vie à conserver.
C'est dit. J'aimerais, Bernard Kouchner, pour terminer cette interview évoquer avec vous l'affaire Polanski. Nous avons pris connaissance, tous, d'une lettre de Roman Polanski que "Libération" a publiée. "Je ne peux plus me taire". Confirmez-vous qu'à la mi-avril quand il a été aux Etats-Unis, le Président Nicolas Sarkozy a transmis au Président Obama une lettre de Roman Polanski ?
Je n'ai rien à confirmer du tout, et pourtant j'étais là.
Donc, vous le confirmez ou pas ?
Non.
Vous ne le confirmez pas ?
Non. Non.
Mais la lettre existe ?
Mais je ne sais pas. En tout cas, je sais quelle est l'attitude des juges américains et je sais aussi, pour d'autres raisons françaises, par exemple, ou européennes que ce n'est pas... Quand un juge décide quelque chose, le Président, vous savez nous avons essayé depuis longtemps d'expliquer à nos amis américains que Roman Polanski, ce n'était pas n'importe qui pour nous, que nous étions touchés, bouleversés, etc.
Vous essayez d'éviter son extradition aux Etats-Unis ?
C'est aux Suisses de le faire ; et là, c'est aux Suisses.
Et à la diplomatie française d'éviter l'extradition ?
La diplomatie française l'a tentée à maintes reprises. C'est maintenant aux Suisses de se prononcer et la déclaration de Monsieur Polanski qu'on a lue récemment, voulait dire : on m'a menti. Un autre juge m'a menti aux Etats Unis. C'est là-dessus qu'il avait fondé toute sa conduite.
RTL - 06/05/10