Le souvenir des « Poilus » reste profondément ancré dans la mémoire française : dans la mémoire des familles où chacun a un grand-père, un arrière-grand-père ou un trisaïeul qui a combattu ; dans la mémoire des villages qui ont tous leur monument aux morts. Pourtant, à deux ans du centenaire de 1914 le gouvernement s’est engagé dans la voie du mémoricide.
Le 11 novembre va devenir une sorte de Memorial Day à l’américaine dont la guerre de 1914 a vocation à disparaître. Alors même que les autres événements du dernier siècle gardent leurs dates commémoratives, la Grande Guerre perd celle qui lui était propre. Abbon fait le point pour Polémia.
La loi du 20 février 2012
Dans son discours du 11 novembre 2011 le président Sarkozy annonça qu’il « inaugurait une nouvelle ère dans la mémoire collective ». Le changement annoncé, pour une fois, n’allait pas tarder à se réaliser. Un mois plus tard, l’Elysée émettait une proposition de loi qui reçut dès le 20 février 2012 l’approbation du Parlement. Selon les termes de Nicolas Sarkozy, « Désormais ce seront tous les morts pour la France, ceux d’hier et d’aujourd’hui, ceux d’Indochine, d’Afrique du Nord, de Suez, et tous ceux qui sont tombés plus récemment dans les opérations extérieures des Balkans, d’Afghanistan, du Moyen-Orient, de la Côte d’Ivoire et de la Libye qui seront honorés le 11 novembre. »
La banalisation de la Grande Guerre
Voilà donc la Grande Guerre banalisée, relativisée sur décision du gouvernement français alors que sa commémoration presque centenaire était entrée dans les mœurs et que son souvenir continue à inspirer cinéastes et littérateurs ; alors que la communauté internationale lui rend un hommage insigne depuis près d’un siècle, le protocole voulant qu’un chef d’Etat étranger en visite officielle manifeste sa déférence à la France par le dépôt d’une gerbe sur la tombe du Soldat inconnu, sous l’Arc de Triomphe, la juxtaposition de ces deux monuments montrant le lien unissant la souffrance et la gloire, celle-ci ne pouvant s’acquérir qu’au prix de la première. C’était là un geste de respect pour la nation française qui sut préserver son indépendance et son intégrité grâce à l’héroïsme de ses Poilus.
Il est vrai que l’énormité du sacrifice consenti par le peuple de France entre le 3 août 1914 et le 11 novembre 1918 – 1.400.000 tués dans des conditions inhumaines, 3 millions de blessés, près du tiers de la richesse nationale anéantie – a pu nourrir une contestation pacifiste. On a pu déplorer, en comptant ses huit millions de morts, toutes nations confondues, à 95% européens, une sinistre boucherie préludant au déclin d’une Europe jadis hégémonique.
La loi du 20 février peut être interprétée comme une concession aux traditions antimilitaristes et pacifistes de la gauche, qui la vota aux côtés de l’UMP. Plus largement, le rappel d’un conflit opposant sur son front principal une Allemagne et une France autour desquelles se construit l’Union européenne fait désordre aujourd’hui, aussi les historiens officiels orientent-ils leurs travaux autour du « Plus jamais ça », et nombre de nos contemporains ont tendance à rejeter le souvenir de cette guerre dans l’oubli, faute d’en comprendre les causes et les conséquences.
Une variante à la française du Memorial Day
On ne saurait donc s’étonner du rôle personnel de Nicolas Sarkozy, connu pour son suivisme à l’égard des Etats-Unis, dans la conduite d’une réforme qui nous impose une variante à la française du Memorial Day. On ne s’étonnera pas non plus que le président ait profité de l’occasion pour normaliser, face à une opinion publique de plus en plus réticente, des guerres menées loin de la mère-patrie en Afghanistan, dans les Balkans ou en Afrique pour y défendre des intérêts plus américains que vraiment français.
Le cosmopolitisme soixante-huitard, symbolisé par une célèbre boutade : « Nous sommes tous des juifs allemands », semble inspirer plus nettement la politique internationale de notre actuel président que le nationalisme français. L’hédonisme jouisseur des émules de Cohn-Bendit exprimé dans un slogan bien connu : « Faites l’amour, pas la guerre », caractérise des individus fiers de l’être qui ne se reconnaissent que des droits, à l’exclusion de tout devoir, qu’il soit d’ordre familial ou patriotique.
Un tel état d’esprit, largement répandu dans les médias et le show-biz, ne prédispose guère à comprendre les sacrifices inouïs consentis par les Poilus dans l’horreur des tranchées afin de défendre, contre l’envahisseur allemand, des frontières que n’importe quel immigré venu du bout du monde peut franchir aujourd’hui sans trop de difficultés grâce aux Accords de Schengen pour jouir, aux frais du contribuable, des largesses de l’Etat français. Mais ce n’est pas seulement l’esprit de Mai-68 qui sévit dans cette réforme, car il s’agit aussi et surtout d’une adaptation à l’idéologie mondialiste, dont la révolution soixante-huitarde posa les premiers jalons.
Une nouvelle ère de la mémoire collective placée sous le signe du mondialisme
La nouvelle ère inaugurée dans l’histoire collective par la loi du 20 février se fonde sur une révision de notre histoire inspirée des nouvelles valeurs prônées par l’idéologie dominante que l’on désigne du terme de mondialisme, laquelle est propagée, pour son plus grand profit, par l’hyperclasse mondiale des banquiers, patrons de multinationales, hauts fonctionnaires des institutions internationales.
Notons au passage que les idéologies totalitaires ont par nature une propension fatale à manipuler l’histoire dont elles se jugent seules aptes à désigner le sens. C’est ce que montre Orwell dans 1984 : « Celui qui contrôle le passé contrôle le présent, celui qui contrôle le présent contrôle l’avenir ». Quelles sont donc les nouvelles valeurs de l’Evangile mondialiste ?
Ce sont les Droits de l’homme apatride, sans identité ethnique ni culturelle ni même sexuelle, réduit à ses qualités de producteur et de consommateur homogénéisé par le marché, interchangeable, donc apte à immigrer en n’importe quel point de la planète où il jouira des mêmes avantages, des mêmes droits démocratiques que les autochtones. Si en quelque région du monde ces droits viennent à être entravés par un tyran, les organisations internationales ou les grandes puissances, se réclamant du droit d’ingérence, sont fondées à intervenir militairement pour rétablir la démocratie.
Les guerres humanitaires sont légitimées par les grands principes qu’elles sont censées défendre, même si les idéaux proclamés cachent des intérêts pétroliers ou les visées géopolitiques d’une hyperpuissance. Le mal, en revanche, vient des nations qui ont la possibilité d’entraver la libre circulation des capitaux, des marchandises et des migrants par leurs frontières, leur souveraineté qui les autorise à édicter des réglementations visant à protéger des intérêts nationaux, donc discriminatoires (horresco referens), menaçant la paix mondiale, enfin, par leurs armées belliqueuses et belligènes.
La pensée unique instrumentalise la Guerre de 1914 pour criminaliser le nationalisme censé avoir à lui seul provoqué le déclenchement des hostilités et légitimé la poursuite du conflit. De là à condamner définitivement tout nationalisme, et même tout patriotisme et, par-dessus le marché, la nation sous prétexte qu’en elle réside la grande cause des guerres, il n’y a qu’un pas. La pensée unique établit ainsi une hiérarchie des guerres : les seules honorables sont celles que l’on qualifie d’ « humanitaires », dont le prototype est la Seconde Guerre mondiale, livrée contre un régime nazi, antisémite, raciste et xénophobe, et dont le dernier avatar est l’expédition de Libye.
Le vote de la loi du 20 février a été obtenu contre la garantie du maintien de la commémoration du 8 mai 1945 sans compter d’autres journées apparentées. Les guerres nationales, en revanche, sont privées de légitimité car livrées pour des raisons identifiées au fascisme, même si les belligérants se trouvaient dans une position défensive. Le succès planétaire d’Indignez-vous, ce petit bréviaire du politiquement correct, s’explique par le prestige d’un auteur qui se veut résistant au nazisme plutôt qu’ancien combattant.
Osons la dissidence !
La rétrogradation de la Première Guerre mondiale dans la hiérarchie des célébrations n’est donc pas tellement due à l’usure du temps qu’à la révolution opérée dans les mentalités par l’idéologie mondialiste, liée elle-même au phénomène de mondialisation identifié à un progrès irréversible, comme le furent autrefois les révolutions communistes.
Mais toute idéologie étant sujette à dissidence du fait de son caractère utopique et totalitaire, il est légitime de penser contre le politiquement correct. Rappelons-nous que le marxisme-léninisme, il n’y a pas si longtemps, attribuait au seul régime capitaliste la responsabilité du déclenchement des hostilités de 1914. Voilà une preuve, parmi d’autres, que les « vérités » d’ordre idéologique sont éphémères. La diabolisation des opposants au mondialisme par une récurrente reductio ad hitlerum ne devrait pas intimider les contestataires. Secouons l’apathie où l’idéologie plonge ses victimes « dans une indifférence cynique ou embêtée » à son propre sort, selon les mots si justes de Hannah Arendt ! (*)
A quoi peut mener le constant dénigrement de notre nation, de sa langue, de sa culture, la repentance unilatérale exigée pour tant d’événements de notre histoire et, en l’occurrence, le renoncement, inscrit dans la loi du 20 février, à l’une de nos plus attachantes victoires, à quoi peut mener la perte de notre fierté d’appartenance, sinon à la servitude volontaire au profit des empires du moment ?
La nation, cette communauté forgée par l’histoire, est d’une valeur irremplaçable, car elle rend possible l’exercice de la démocratie qui ne peut se réaliser à l’échelle mondiale en raison de la diversité des civilisations sur laquelle le mondialisme fait l’impasse. En même temps elle permet aux citoyens d’échapper à l’atomisation, source de tous les dangers dans un monde qui a toujours été violent ; contrairement aux prédictions d’un progressisme de bazar, elle n’est pas condamnée par l’histoire. La France, plus que millénaire, n’est pas la moindre des nations du monde, elle n’a pu survivre au long des siècles que par les sacrifices d’innombrables générations. C’est la leçon que nous ont transmise les combattants de 1914 qui ont sauvé l’indépendance et l’intégrité de notre pays. Les premiers résistants qui manifestèrent à l’Arc de Triomphe le 11 novembre 1940 l’avaient compris. A nous de reprendre le flambeau : il n’est pas de liberté sans combat.
Abbon
9/03/2012
(*) Système totalitaire / Les origines du totalitarisme, éditions du Seuil, collection Politique, page 39
Voir aussi : 11 novembre : La mémoire de la France est davantage à Verdun qu'à Auschwitz
Correspondance Polémia – 15/03/2012