Comprenez-vous l'hostilité de beaucoup de Français devant l'ampleur donnée à la visite du colonel Kadhafi en France ?
Brice Hortefeux. Il ne s'agissait pas d'une visite d'Etat, mais d'une simple visite officielle (de 6 jours!) d'un chef d'Etat avec lequel la France est en relations. Cette précision protocolaire n'est pas seulement symbolique : elle est significative. Sur le fond, depuis 2001, que s'est-il passé ? 1. Le colonel Kadhafi a publiquement renoncé au terrorisme en indemnisant les victimes de l'attentat de Lockerbie. 2. Il a mis fin à son programme nucléaire militaire et chimique. 3. Il a permis la libération des infirmières bulgares. Je pose donc une question simple : fallait-il ignorer ces évolutions au risque de les remettre en cause, ou les encourager ? La réponse est évidente.
Le provocateur Kadhafi a-t-il totalement tort de répondre à ceux qui invoquent devant lui les droits de l'homme que les Français ne traitent pas toujours bien leurs immigrés ?
Je rappelle que la France respecte naturellement le droit d'asile, qu'elle protège les droits fondamentaux, qu'elle se soumet aux conventions internationales. Dans ce cadre, la France a aussi le devoir de raccompagner les étrangers qui ne respectent pas nos lois.
Est-on condamné à devoir toujours choisir : soit les contrats, soit les droits de l'homme ?
Grâce à Nicolas Sarközy, nous ne vivons pas dans une diplomatie figée. Lorsque les hommes évoluent, les Etats doivent évoluer. En diplomatie, avoir une éthique n'empêche pas d'être pragmatique. (vendre des armes à un dictateur ex-terroriste, par exemple...)
Où en êtes-vous de l'expulsion des immigrés en situation irrégulière, vous qui aviez dit que votre objectif, c'était 25 000 expulsions en 2007 ?
Le nombre des éloignements - je préfère ce mot - ne constitue pas l'alpha et l'oméga de ma politique. C'est un indicateur parmi d'autres, avec la lutte contre les fraudes, le combat contre le travail illégal, les actions menées contre les marchands de sommeil, les nombreuses initiatives dirigées contre les passeurs clandestins et leurs filières, véritables esclavagistes des temps modernes...
Mais où en êtes-vous ?
Fin novembre, 21 000 éloignements avaient été effectués, en tenant compte de la période d'attente liée aux élections présidentielle et législatives, et de l'évolution concernant le régime juridique des ressortissants bulgares et roumains. En 2006, sur la même période, il y en avait eu 21 500.
Pourquoi vous fixez-vous ainsi des objectifs chiffrés, théoriques et même « idéologiques » ?
Ce chiffre avait été donné en début d'année. Il rappelle tout simplement un principe : un étranger en situation irrégulière sur notre territoire a vocation à être reconduit dans son pays d'origine, sauf situations particulières que nous examinons avec un souci de justice et d'humanisme.
Concrètement, que veut dire « immigration choisie » ?
C'est tout simplement une nouvelle politique d'immigration. Pendant des décennies, le pays d'accueil ne se préoccupait que de ses propres intérêts, et le pays d'origine était souvent soulagé de voir une partie de sa population s'expatrier, s'allégeant ainsi d'une pression économique, sociale, démographique ou politique. Désormais, la France tient compte non seulement de ses intérêts, mais aussi de ceux des pays d'origine. L'immigration choisie et concertée, ce n'est pas l'immigration zéro, qui n'est ni possible ni souhaitable. C'est le contraire de l'immigration subie : subie par les Français, subie par les immigrés légaux, subie, enfin, par les clandestins eux-mêmes qui sont les premières victimes des réseaux et des passeurs. Aujourd'hui, je discute avec de nombreux pays qui sont traditionnellement terres d'émigration, et négocie des accords avec chacun d'eux. J'aborde sans tabou les questions de l'immigration clandestine, de l'immigration légale - notamment pour les salariés et les étudiants - et aussi du codéveloppement. J'ai déjà signé des accords avec le Gabon, le Congo et le Bénin. Il y en aura de nombreux autres en 2008.
Quel regard portez-vous sur la toute nouvelle Cité de l'immigration ?
Je m'y suis rendu deux fois. Une première fois à titre personnel, avant l'ouverture au public. Une seconde fois avec les représentants des pays qui, à un moment ou à un autre de notre histoire, ont été terres d'émigration vers la France : de la Russie au continent africain, de la Chine à l'Europe. Cette cité est la preuve que l'immigration fait partie de notre patrimoine commun, et que la République le reconnaît.
Ségolène Royal a plusieurs fois vanté le « métissage » à la française. C'est ce qu'a fait l'autre samedi, sur TF 1, la nouvelle miss France, originaire de la Réunion. Qu'en pensez-vous ?
Qu'est-ce que l'identité nationale ? C'est à la fois la reconnaissance de la diversité de nos origines et le ciment nécessaire à la cohésion de notre communauté. Unis par nos valeurs, nous sommes cependant divers. Je souhaite, par exemple, que les médias comme la politique deviennent plus encore le miroir de la diversité de notre société.
Nicolas Sarközy ne cesse de dire que les réformes sont vitales. Quelle sera la contribution de votre ministère ?
En 2008, un grand rendez-vous nous attend puisque, durant le second semestre, la France présidera l'Union européenne. Conformément aux souhaits du président de la République et du Premier ministre, les questions migratoires seront au coeur de cette présidence française. L'objectif est de bâtir un pacte européen de l'immigration. Ce serait la première fois qu'il y aurait ainsi le socle d'une politique migratoire commune, ce qui serait compréhensible et lisible à la fois par les opinions publiques des pays d'Europe et par les pays terres d'émigration.
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Dans une démocratie, il faut accepter d'être caricaturé. A l'évidence, sur ce terrain-là, oui, je suis gâté.
(Le Parisien - 16-12.07)