Léger filtrage à l’entrée, puis il faut rejoindre le sous-sol. La journée réunit des militants d’extrême-droite de tous horizons (nationalistes, néo-païens, catholiques traditionalistes) qui n’ont de commun que leur dissidence du Front national et leurs désaccords avec le Bloc identitaire, jugé trop racoleur. Au plus fort de la journée, environ trois cents personnes écoutent les orateurs. Trois partis politiques sont représentés : le Parti de la France de Carl Lang (ancien cadre du FN), la Nouvelle droite populaire de l’alsacien Robert Spieler et le Mouvement national républicain créé par Bruno Mégret. Autour de ces trois plateformes politiques gravitent une multitude d’associations, de maisons d’éditions, de cercles de réflexion.
Au fond de la salle, les stands donnent une idée des orientations communes. On peut s’approvisionner en rock identitaire, badges au drapeau israélien barré, ouvrages au titre évocateur : La mafia juive, Pathologie de l’islam, Hitler ou Juda, La France licratisée (gros succès dans le milieu). Un petit creux ? La buvette fournit les nationalistes en Corsica Cola, bière, jambon-beurre. A noter que depuis l’épisode de la soupe au cochon, l’extrême-droite entretient une véritable idéologie du jambon, symbole du refus de l’islam (et, peut-être, du judaïsme, mais ce n’est pas mis en avant). Le porc, égérie de l’Europe aux racines chrétiennes… Punaisée au mur, une affichette rappelle que la messe en hommage à Franco aura lieu à Saint-Nicolas du Chardonnet fin novembre.
Chacun chez soi : l’émiettement de mouvement national
L’assistance compte plus de personnes âgées munies d’appareils auditifs que de jeunes skinheads. Les organisations représentées à la synthèse nationale ne s’entendent pas vraiment avec le Bloc identitaire, plus prisé des jeunes. L’ambiance, c’est plutôt anciens d’Algérie et nationalisme de grand-papa. Roland Hélie, organisateur de la journée (ex-FN, désormais à la Nouvelle droite populaire) explique que « les Identitaires n’ont pas voulu venir. Les relations ne sont pas très bonnes ». Robert Spieler (ex-Ordre Nouveau, régionaliste alsacien, ex-FN, également à la NDP) renchérit : « Ils ont trop souvent un comportement de trotskistes d’extrême-droite, une intolérance à tout ce qui n’est pas strictement leur chapelle. »
Les chapelles, justement, se sont multipliées. Beaucoup de militants d’extrême-droite ayant quitté le FN à cause de la prise de pouvoir de Marine Le Pen et la – très relative – « aseptisation » de son discours, se retrouvent ici, en rupture de bans. D’où le mot d’ordre de la journée : « Rassembler et résister ». Certains essaient de tourner la constellation de micro-cercles, parfois sans grand rapport idéologique, en avantage. Comme Francis Bergeron, passé par le mouvement solidariste français, qui se livre à la tribune à un éloge des groupuscules : « ils sont extrêmement formateurs. Ils m’ont donné la capacité de parler en public et l’envie d’écrire. Dans les groupuscules on a besoin de tout le monde, tout est à faire ».
Annick Martin, secrétaire générale du MNR, déprécie également l’organisation « pyramidale, sovietoïde » du FN, dont les fidèles ont été « purgés, humiliés, salis ». « La multiplication des courants n’est pas un obstacle à l’efficacité », affirme-t-elle. Mot d’ordre : rassembler malgré les incompatibilités idéologiques. Avec en tête, un calendrier. Les termes ne sont pas anodins : à la tribune les orateurs parlent de « reconquête », de « libération de la France ». Citant Jean-Pierre Stirbois, Francis Bergeron décrit les étapes à venir : « former des élites », « infiltrer les corps intermédiaires », « structurer la société » et enfin « prendre le pouvoir ».
Mieux vaut connaître les idées de ces individus, qui ne représentent parfois qu’eux-mêmes. Convaincus de l’existence d’une « immigration-invasion », les intervenants des tables rondes tiennent un discours alarmiste et incohérent. Pierre Descaves, ancien de l’OAS, estime qu’ « aujourd’hui la France est algérienne. Ils vont nous imposer de ne plus boire de vin, de ne plus manger de cochon. Ils veulent tous se faire soigner chez nous parce que chez eux ils ne peuvent pas, ils ont tout détruit ».
A côté de lui, Olivier Bonnet a la solution : le « communautarisme de souche ». En Bourgogne, il a créé la Desouchière. Le projet vise à « réunir dans un espace de la taille d’un village ou d’un canton des personnes qui partagent les mêmes valeurs, sans attendre d’être une minorité ». Soit une pépinière de « Français de souche ». La notion n’est pas claire : des Blancs ? des Français d’origine française ? Depuis combien de générations ? Personne ne tique.
Sans aller jusqu’à créer des enclaves « de souche », plusieurs intervenants proposent d’embaucher « les nôtres » en priorité. « Essayons de favoriser le plus possible des Français de souche, et si possible de notre famille politique, dans nos entreprises », résume Thomas Werlet (Parti solidaire français).
Nicolas Tandler, représentant d’une organisation patronale « nationaliste » (le Nouveau patronat indépendant) estime pour sa part que « dans l’entreprise, la présence de l’immigration détruit tout ce qui tient ensemble les salariés », citant par exemple les menus halal comme facteur de désordre. Pour lui, la droite nationale doit jouer sur la division des immigrés. « Il y a des gens qui se détestent », comme « les Chinois et les maghrébins ». « C’est peut-être notre dernière chance. »
Inutile de préciser que cette droite-là n’est pas fan de discrimination positive. Anne Lauvergeon, la patronne d’Areva, en a fait les frais. Elle qui avait affirmée qu’à compétences égales, elle favoriserait une femme ou un immigré, est la cible d’attaques assez violentes. Aux yeux d’André Gandillon, elle fait partie d’une « super-classe mondiale qui renie sa patrie », des « traîtres, et à l’égard de la nation des criminels ». Annick Martin réclame « qu’elle laisse tout de suite sa place à une Africaine pour montrer l’exemple ». Applaudissements.
Décliniste, catastrophiste, l’extrême-droite groupusculaire imagine une Europe assiégée qui court à sa perte. Thomas Werlet, du Parti solidaire français, parle de « complot des banques, des médias, du gouvernement et du cinéma, qui veulent détruire ce que nous voulons défendre : l’identité nationale ».
« Une volonté biologique, un enthousiasme barbare »
Alors que le Front national tente de se rendre acceptable aux yeux de l’opinion et des médias, les participants à la Synthèse national y vont franco. Annick Martin tempête contre « les infâmes lois Gayssot et Toubon », qui limitent la virulence des propos et fustige la Halde, le Crif, SOS Racisme.
Franck Abed, professeur d’histoire et membre de Génération FA8 (catholiques intégristes), dénonce la libération des mœurs et prophétise que « demain si ça continue comme ça on va nous faire croire que des hommes peuvent se marier avec des chiens et des femmes avec des arbres. » Il ajoute : « Pour me faire couper les cheveux je n’ai que deux choix : les Arabes à 9 euros ou les sodomites à 25 euros ».
Pierre Vial donne le fond de sa pensée sur l’identité nationale : « Pour nous, l’identité est bio-culturelle, avec une base ethnique et raciale. C’est vrai pour tous les peuples sur leur terre d’origine, non sur celle des autres. » Il appelle à « faire renaître un esprit de croisade, où nous marcherons tous au coude à coude ». On entend encore Jean-Claude Rolinat juger que « la politique d’apartheid en Afrique du Sud a échoué parce qu’elle n’est pas allée jusqu’à son terme », c'est-à-dire « créer un Etat Noir indépendant ».
Encore moins liés par les lois françaises sur l’incitation à la haine, les invités européens de la Synthèse nationale, représentants de divers partis nationalistes et populistes, s’en donnent à cœur joie. L’italien Adinolfi « ne comprend pas pourquoi on se choque tellement des mosquées si l’on ne se choque pas des synagogues ». Lancé sur l’avenir du mouvement nationaliste, il estime qu’ « il ne suffit pas d’être une minorité pour être une avant-garde. Il faut une volonté biologique, il faut un enthousiasme barbare. » Et fait sien le slogan mussolinien « Fascisme, Europe, révolution ». « Le reste est une perte de temps et surtout d’énergie. »
Interrogé sur les curieux propos tenus par ses invités, l’organisateur Roland Hélie dit vouloir « laisser s’exprimer les spécificités ». « En Italie, dans n’importe quelle station-service il y a des portraits de Mussolini », renchérit Robert Spieler.
Identité nationale, identité européenne
Traduction de la diversité d’opinion entre les participants, chacun réagit différemment au débat lancé par le gouvernement sur l’identité nationale. Certains écartent du revers de la main « un faux débat ». Robert Spieler, pour sa part « y répond par l’identité européenne ». Une idée bien éloignée de celle des fonctionnaires bruxellois, bien sûr. La notion s’apparente ici à celle de « civilisation » puisque le terme de « race » ne franchit pas les lèvres.
Carl Lang définit l’identité nationale comme « la communion naturelle, historique et spirituelle entre le peuple français et la terre de France ». Il réclame « le droit de nos peuples européens à rester eux-mêmes » et revendique la synthèse des identités locales, nationales et européenne. Pour faire valoir ces théories, le Parti de la France se présentera sous une bannière commune avec la Nouvelle droite populaire et le MNR, « partout où nous pourrons le faire, pour des raisons financières », explique Carl Lang, soit « dans sept ou huit régions françaises ».
Le Figaro - Les Inrocks.com - (article repris par le CRIF) - 12 novembre 2009