Elle est devenue le témoin que tout l'appareil judiciaire et policier s'arrache. Trois jours après son audition dans le plus grand secret par la juge Isabelle Prévost-Desprez, qui mène ses propres investigations sur l'affaire Bettencourt, l'ex-comptable de l'héritière de L'Oréal a de nouveau été entendue, mardi 20 juillet, par la brigade financière dans le cadre de l'une des trois enquêtes préliminaires du parquet de Nanterre sur le même dossier.
C'est la sixième fois en trois semaines que Claire Thibout, qui est notamment à l'origine de déclarations compromettantes sur un possible financement illégal de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2007, est convoquée par les enquêteurs. Du jamais vu.
Dans un entretien à Mediapart, son avocat, Me Antoine Gillot, dénonce le «harcèlement du procureur de Nanterre», Philippe Courroye. Il s'explique également en détail sur un versement de 400.000 euros que sa cliente a perçu de Françoise Meyers-Bettencourt, la fille de Liliane Bettencourt, fin 2008.
Claire Thibout est de nouveau interrogée mardi après-midi 20 juillet par les policiers de la brigade financière. Pour quelles raisons selon vous ?
Mais je n'en sais rien ! Je vous rappelle que je n'ai pas accès au dossier. Ce que je constate, c'est que le harcèlement du procureur de Nanterre à l'encontre de ma cliente continue de plus belle. Elle n'en peut plus d'être considérée comme une suspecte, et non comme le simple témoin qu'elle est. La situation devient intenable.
Pourquoi ?
D'abord, cela lui pose de sérieux problèmes dans son travail, car elle est en permanence convoquée à la police. Son employeur commence à s'interroger sur les conséquences que ses absences peuvent avoir sur son travail.
Que fait-elle aujourd'hui ?
Elle est directrice d'une association qui gère des crèches et des dispensaires pour enfants. Je tiens à ajouter que la situation n'est pas meilleure pour son époux car une partie de son matériel informatique a été saisi par la police, au motif qu'il a recopié les enregistrements effectués par le majordome. Or, le mari de Claire est informaticien et lui aussi est simple témoin. Enfin, moralement ma cliente est à bout. Je demande instamment que cette situation cesse enfin.
Elle a aussi été entendue par Isabelle Prévost-Desprez la semaine dernière...
Effectivement. Ça vient s'ajouter aux nombreux interrogatoires qu'elle a subis, même si j'estime que celui-là est beaucoup plus légitime car mené par un juge dans un cadre indépendant, ce que je réclame depuis des semaines comme beaucoup d'autres qui s'émeuvent que le parquet cadenasse la procédure dans cette affaire.
Lors de cette interrogatoire, Claire Thibout aurait révélé avoir perçu une somme de 400.000 euros provenant de la fille de Liliane Bettencourt.
C'est parfaitement exact. D'abord, rien ni personne n'obligeait ma cliente à évoquer cette somme de 400.000 euros. C'est elle-même qui spontanément a décidé d'en parler à Mme Prévost-Desprez lors de son audition. D'autre part, je tiens à préciser que cette somme de 400.000 euros lui a été réglée en toute connaissance de cause par Mme François Meyers-Bettencourt, ce qui fait évidemment une énorme différence avec tous ceux, et ils sont nombreux, qui ont obtenu des sommes parfois faramineuses de Liliane Bettencourt en abusant de sa faiblesse. Par ailleurs, Françoise Meyers-Bettencourt n'a fait que respecter le vœu de son père qui avait beaucoup d'estime pour Claire Thibout.
Mais à quoi correspond ce versement ?
Il y a une explication toute simple à ce paiement: en avril-mai 2007, Claire Thibout est totalement sous pression, elle assiste impuissante à l'emprise totale que François-Marie Banier et consorts exercent sur Liliane Bettencourt. C'est notamment à cette époque que M. Banier exerçait une pression incroyable par l'intermédiaire de Mme Bettencourt sur Claire Thibout pour essayer de récupérer l'ensemble des bijoux non inventoriés que Mme Bettencourt détenait dans un coffre à la BNP Opéra dont Claire Thibout détenait une des deux clés, l'autre étant entre les mains de Mme Bettencourt. Claire était à ce point à bout à cette époque qu'elle a été arrêtée pour un état dépressif du 7 mai au 10 juin 2007.
Que s'est-il passé alors ?
C'est à cette même époque qu'elle a parlé de la situation à M. Bettencourt, déjà très malade (il mourra quelques mois plus tard, en novembre 2007, NDLR), mais il lui a dit qu'il ne pouvait malheureusement rien faire. Claire a donc décidé de rompre le silence qu'elle s'était imposé jusque-là et elle a tout raconté à Françoise Meyers: l'état de faiblesse de sa mère, l'attitude de Banier et Maistre (le gestionnaire de fortune, NDLR), les donations faramineuses à Banier, l'ambiance délétère dans la maison, etc. Elle sait très bien à ce moment-là qu'en parlant, elle prend le risque de perdre sa place, vu que Mme Meyers-Bettencourt est déjà persona non grata chez sa mère.
Que risque-t-elle ?
Elle a alors 50 ans et gagne 11.000 euros par mois. Outre son préjudice moral, elle sait qu'en cas de licenciement, elle ne retrouvera jamais l'équivalent en termes de rémunération, qu'elle pourra au mieux prétendre à 4.000 ou 4.500 euros mensuels (ce qu'elle gagne actuellement). Pour elle, un licenciement, cela signifiait un préjudice considérable d'au minimum 6.500 euros par mois, jusqu'à l'âge de la retraite, soit pendant 10 ans.
Que décide alors Mme Meyers-Bettencourt ?
Mme Meyers-Bettencourt, parfaitement consciente du risque que Claire prend à l'époque en lui fournissant des informations, lui signe en juillet 2007 une lettre au terme de laquelle elle s'engage, si Claire Thibout venait à être licenciée pour cette raison, à lui régler le complément entre l'indemnité qui lui serait réglée et une somme forfaitaire nette de 800.000 euros.
De fait, Claire Thibout sera finalement bien licenciée, en novembre 2008, soit seize mois après la signature de cette lettre, en raison notamment du témoignage qu'elle a apporté dans le cadre de la procédure judiciaire engagée par Mme Meyers-Bettencourt contre M. Banier.
Licenciée, Claire Thibout a été indemnisée...
Oui, dans le cadre de ce licenciement, elle a reçu une indemnité de licenciement, mais de 400.000 euros. Donc, tout naturellement, conformément à ses engagements Mme Meyers-Bettencourt lui a versé une somme complémentaire de 400.000 euros, à titre de dommages et intérêts fin 2008. Cette somme n'est rien d'autre que la juste réparation du préjudice considérable subi par ma cliente. Il va de soi que ce règlement n'altère en rien le témoignage, qui repose sur des faits avérés, fourni par ma cliente dans le cadre de la procédure pour abus de faiblesse.
Ce versement n'altère bien entendu pas davantage ses déclarations s'agissant des espèces que lui a demandées M. Maistre, selon les dires de ce dernier, pour le compte de M. Woerth pour financer la campagne de M. Sarkozy en 2007, ni ses déclarations s'agissant des mouvements d'espèces fréquents au sein de la maison Bettencourt à destination des politiques que recevait M. Bettencourt.
Certains vont dire que votre cliente a été achetée...
En aucune manière elle n'a été achetée ! La chronologie l'atteste: le licenciement de Claire Thibout n'était absolument pas certain en juillet 2007. Et puis, comment au mois de juillet 2007 Françoise Meyers-Bettencourt pouvait-elle imaginer que des enregistrements seraient réalisés deux ans plus tard par le maître d'hôtel? Comment encore pouvait-on prévoir la plainte pour vol déposée de manière absurde contre Claire Thibout par l'avocat de Liliane Bettencourt, en juin 2010, initiative qui a valu à Claire d'être convoquée par la police, la conduisant notamment à évoquer les remises d'espèces qui avaient cours chez les Bettencourt ?
MEDIAPART - 20/07/10