« L’as-tu vue, la casquette, la casquette / L’as-tu vue, la casquette du Père Bugeaud… ». Voilà une chanson de naguère que l’on ne chantera plus à Lyon. Où la rue Bugeaud, située dans le VIe arrondissement de la ville, vient d’être débaptisée.
Thomas Robert Bugeaud (1784-1849), marquis de la Piconnerie, duc d’Isly, maréchal de France, ancien vélite de la garde impériale, vainqueur d’Abd el-Kader à Sikkah (6 juillet 1836), vainqueur de la bataille d’Isly (Maroc, 14 août 1844), gouverneur de l’Algérie (1841-1847), est donc finalement tombé sous les coups du « politiquement correct ». En raison de son passé de conquérant et pacificateur de l’Algérie libérée du joug otttoman. Paradoxe si l’on veut bien se souvenir que, avant de faire son devoir de soldat, il fut hostile à la conquête de l’Algérie, « possession onéreuse dont la nation serait bien aise d’être débarrassée »…
Mais il ne suffisait pas de chasser Bugeaud de sa rue lyonnaise. Encore fallait-il remplacer son nom par celui d’un — en l’occurrence d’une – ennemi de la France. A savoir l’obscure Lalla N’Soumer. Les organisateurs d’une « Semaine anticoloniale » – sur le thème : « Débaptisons les rues de Lyon des noms horribles » – expliquent, sans que personne ne leur claque le beignet : — On renomme la rue Bugeaud, militaire tortionnaire pendant la colonisation française de l’Algérie, en rue Lalla N’Soumer, "résistante" de la même époque.
Qui est Lalla Fatma N’Soumer ? De son vrai nom Fatma Sid Ahmed, elle serait née vers 1830 à Ouerja, sur la route de Aïn El-Hammam (ex-Michelet), vers le col de Tirourda, des œuvres du cheik Ali ben Aissi et de Lalla Khlidja. Suivant les traditions musulmanes, on voulut la marier très jeune. Ce qu’elle refusa.
Décrétée « folle », elle va être enfermée plusieurs semaines dans un cachot. Quand elle en sort, elle accepte d’épouser son cousin, mais refusera de consommer le mariage. Renvoyée à sa famille, elle est mise au ban du village.
Elle sera ainsi tenue pour une sorte de possédée jusqu’à ce jour de 1852 où elle dira avoir eu une révélation d’Allah lui commandant de faire la guerre aux Français… A ce titre, elle participera à quelques combats dont celui d’Ouad Sebaou (1854). En 1857, elle sera capturée lors de la bataille d’Icherridene et emprisonnée aux Issers, puis à Tablat. Libérée, elle mourra en 1863.
Voilà l’« héroïne » qui, avant d’avoir eu mailles à partir avec les méchants soldats français, avait surtout eu à subir – au point d’y laisser sa santé mentale – l’obscurantisme musulman. Mais ça, ça passe à l’as. Et Lalla Fatma N’Soumer aura sa rue à Lyon au détriment de Bugeaud. Et au détriment d’une véritable héroïne, la Kahina, la « Jeanne d’Arc des Aurès ». Infréquentable celle-là : avec les Kabyles, elle s’opposa jusqu’à la mort aux envahisseurs arabo-musulmans, bourreaux du Maghreb.
(Lalla est un titre honorifique. N’Soumer signifie « de Soumer », nom du village où son père tenait une école coranique)
ALAIN SANDERS
Article extrait du n° 6843 de Présent, du mardi 19 mai 2009
NPI - 19 mai 2009