La guerre en Géorgie a ébranlé la stabilité financière russe, principal acquis de l'ère Poutine (2000-2008). Au plus fort du conflit entre la Géorgie et la Russie pour le contrôle de la province séparatiste d'Ossétie du Sud du 8 au 15 août, les réserves en or et devises de la Banque centrale ont fondu de 16,4 milliards de dollars (11,1 milliards d'euros), soit 2,7 %, passant de 597,5 à 581,1 milliards de dollars, a reconnu celle-ci jeudi 21 août.
Certes, ces réserves, les troisièmes au monde, ont de la marge, mais la crise géorgienne et son cortège de conséquences, entre autres la perspective de relations houleuses entre la Russie et ses partenaires occidentaux, a bel et bien effrayé les investisseurs.
"Je pense que nous avons touché le fond, mais comme tout ceci est lié à la situation politique, il est difficile de prévoir ce qui va se passer", a constaté jeudi à Nijni- Novgorod Guennadi Melikian, le premier vice-président de la Banque centrale russe.
A Moscou, la plupart des analystes financiers estiment que l'appréciation soudaine du dollar par rapport à l'euro ces dernières semaines a également joué un rôle. 50 % des réserves russes sont en dollars, 40 % en euros et 9 % en livres sterling.
L'annonce de cette baisse des réserves de change intervient cinq jours après que le ministre russe des finances, Alexeï Koudrine, a reconnu que le conflit en Géorgie avait entraîné une fuite record de capitaux, estimée à 6 milliards de dollars pour la seule journée du 8 août.
Le conflit a démarré le 7 août, lorsque les troupes russes ont repoussé une attaque menée par les forces géorgiennes contre l'enclave prorusse d'Ossétie du Sud, précipitant la Bourse de Moscou à son plus bas niveau depuis deux ans. Selon lui, entre le 8 et le 11 août, 7 milliards de dollars ont quitté le pays.
Le quotidien Kommersant du 22 août estime que "la fuite de capitaux a été plus importante que cela", soit 15 milliards de dollars. La fuite aurait été plus forte " que pendant la crise financière d'août 1998", quand 12 milliards de dollars avaient quitté le pays en moins d'une semaine. "La guerre en Géorgie a effrayé les investisseurs, a entraîné l'incertitude sur le marché des changes et quant aux perspectives de l'économie en général", conclut Kommersant.
Selon le ministre des finances Alexeï Koudrine, les aléas politiques risquent de jouer sur les prévisions d'entrées de capitaux pour 2008 et celles-ci représenteront moins que les 30 à 40 milliards de dollars anticipés par la Banque centrale russe. Confirmant cette tendance, la Deutsche Bank a revu à la baisse ses prévisions pour les entrées de capitaux en Russie en 2008, passées de 40 à 15 milliards de dollars.
Les marchés russes ne sont pas restés à l'abri des turbulences. Sur fond d'inflation, de récession mondiale et de bruits de bottes dans le Caucase, la Bourse de Moscou a perdu 33 % de sa valeur depuis la mi-mai. En une semaine, les titres Gazprom, LuKoil et Rosneft, les principaux fleurons de l'économie russe, ont perdu respectivement 28 %, 30 % et 25 %.
Il en faudrait sans doute plus pour mettre le pays en difficulté. Tant que le prix du baril de pétrole reste élevé, l'économie russe a de beaux jours devant elle. Toutefois, "il faut être prêt à toutes sortes de développements, y compris négatifs", a mis en garde le premier ministre Vladimir Poutine.
Il en sait quelque chose. Le 24 juillet, ses déclarations sur l'entreprise Mechel - leader russe du charbon à coke -, accusée publiquement par lui "d'évasion fiscale" ont conduit à une chute de 32 % de l'action Mechel à New York, entraînant une réaction en chaîne sur le marché russe.
M. Poutine, qui participait à une réunion d'hommes d'affaires à Nijni-Novgorod avait alors proposé à Igor Ziouzine, le PDG de Mechel, absent en raison d'un malaise cardiaque, de lui "envoyer un médecin". "Il faudra alerter le parquet", avait tonné le premier ministre. Il n'en fallait pas plus pour que le "cas" Ziouzine soit apparenté à celui de Mikhaïl Khodorkovski, l'ex-PDG de Ioukos, lequel, condamné en 2005 à huit années de prison pour fraude fiscale, vient de se voir refuser sa remise en liberté.
"SANCTIONS ÉCONOMIQUES"
Perçue comme une nouvelle intervention de l'Etat dans les affaires, l'affaire Mechel - ainsi que les déboires à répétition de la major russo-britannique TNK-BP - ont dès juillet entamé la confiance des investisseurs. L'inquiétude a grandi depuis l'intervention en Géorgie, où la Russie, en ne respectant pas les termes du document signé par elle, veut montrer à l'Occident qu'elle n'entend plus jouer selon les règles communes.
"Les relations pourraient se détériorer davantage", expliquait Igor Iourguens, vice-président de l'Union des industriels et des entrepreneurs russes, dans un point de vue publié le 18 août dans les pages du quotidien Rossiiskaïa gazeta. "Les investissements de long terme dont nous avons tant besoin pourraient commencer à décliner, ce qui mettrait en péril nos plans de développement structurels (...)", précisait ce proche du président Dmitri Medvedev, chargé par ce dernier de mener la réflexion sur la diversification de l'économie.
Mettant en garde contre "l'escalade du conflit", "sanctions économiques" à la clé, M. Iourguens estimait qu'un "embargo sur la haute technologie avec aucune perspective de remplacement par une production russe" ruinerait les projets de modernisation du pays. "Nous devons négocier", conclut-il.
LE MONDE -24 août 2008