L’agression contre Zeev Sternhell
Zeev Sternhell
Les mots « juif » et « terroriste » ne sont pas facilement associés par les Israéliens. Toutefois, comme la semaine dernière où l’un des grands intellectuels du pays a été blessé par une bombe posée devant la porte de son domicile, il arrive qu’ils n’aient guère d’autre choix.
Zeev Sternhell, âgé de 73 ans, qui fut la cible de cette agression est professeur de politique à l’Université hébraïque de Jérusalem, spécialisé dans le fascisme européen et éminent sympathisant du groupe de gauche, la Paix maintenant.
Peu après l’explosion, la police a trouvé à proximité des tracts offrant 1,1 million de shekels (225 000€) à quiconque assassinerait un dirigeant de la Paix maintenant. L’activité la plus visible de ce mouvement est de surveiller et de critiquer l’expansion des colonies en Cisjordanie.
Mr Sternhell, blessé à la jambe, a mis en garde que cette agression pourrait marquer « l’effondrement de la démocratie » en Israël. Il s’était attiré l’hostilité de l’extrême droite religieuse en qualifiant les agressions des Palestiniens contre les colons d’actes de résistance contre l’occupation.
Au début de l’année, le Professeur a reçu le prix Israël pour les sciences politiques. L’agence de presse, Arutz Sheva, propriété des colons, a publié un article intitulé Le Prix Israël pour un professeur qui est pour le terrorisme, la guerre civile.
Le choc provoqué en Israël par l’attentat montre en partie que de telles agressions sont rares. La plupart des Israéliens jugent l’usage de la violence de juifs contre d’autres juifs comme totalement illégitime, ce qui explique partiellement que les forces de sécurité prennent généralement des gants quand ils ont à traiter avec les colons.
Il y a toutefois quelques précédents à ce genre d’agressions. En 1983, Emil Grunzweig a été tué par une grenade jetée par un militant de droite sur un groupe d’adhérents de la Paix maintenant qui défilait contre l’invasion du Liban par Israël. Et 12 années plus tard, les Israéliens ont déjanté quand un colon religieux, Yigal Amir, a abattu leur Premier ministre, Ytzhak Rabin.
La violence dirigée contre la gauche juive culmine dans les périodes où l’extrême droite religieuse croit qu’un accord avec les Palestiniens n’est pas loin d’être conclu. Rabin a payé de sa vie le prix de la signature des Accords d’Oslo. De même, Mr Sternhell semble être la victime des mécontentements des colons devant les discussions qui se poursuivent entre le gouvernement et les Palestiniens pour un retrait partiel israélien de Cisjordanie.
Certes, l’atmosphère chez les colons religieux s’est assombrie depuis le désengagement de Gaza, il y a trois ans. Un nombre important ont la conviction que, par la trahison de ce qu’ils perçoivent comme un droit acquis du peuple juif sur le territoire palestinien, le gouvernement se révèle de lui-même indigne de leur loyauté. D’autres sont convaincus que les colons eux-mêmes ont échoué à un test divin en n’ayant pas su faire face au gouvernement et à l’armée.
Quoi qu’il en soit, de nombreux colons d’extrême droite tournent le dos à celles des lois laïques qui heurtent leurs propres convictions. Un observateur israélien a noté que ces colons ne se considèrent plus devoir être loyaux à l’égard de l’Etat d’Israël, mais de la Terre d’Israël, une terre promise par Dieu et non par les politiciens.
Dans le tract trouvé près du domicile de Mr Sternhell, signé par un groupe nommé l’Armée des libérateurs, on peut lire « L’Etat d’Israël est devenu notre ennemi. »
Le Shin Bet, services secrets de la police, a un département Juifs, dont la mission est de surveiller les activités des terroristes juifs. A la différence de son département Arabes, pourtant, celui pour les juifs a peu d’effectifs et de moyens financiers. Il s’est révélé également très inefficace face à la menace représentée par l’extrême droite.
Les extrémistes juifs qui attaquent les soldats israéliens ou les Palestiniens dans les territoires occupés, qui appellent ouvertement à la violence contre les Palestiniens ou qui expriment des opinions illégales sont rarement poursuivis en justice, même lorsqu’il existe une preuve manifeste de leurs méfaits.
Le mépris général des lois chez les colons de Cisjordanie a atteint de nouveaux sommets et fut marqué ce mois-ci quand les colons de Yitzhar ont commis ce qui fut largement qualifié de « pogrom » contre les Palestiniens du village voisin d’Asira al Qabaliya. Les colons ont été filmés tirant à balle réelle sur les villageois, mais la police n’a jusqu’ici mis personne en accusation.
Violences de jeunes colons sur des Palestiniens à Sushia (Film B’Tselem)
Ce qu’on oublie souvent aussi, c’est que ce que l’on appelle l’ « underground » (*) juif a un passé d’agressions contre les Palestiniens à l’intérieur même d’Israël, notamment contre ceux qui ont la citoyenneté. Une voiture piégée a raté de peu, mais la blessant gravement, l’épouse d’un député arabe de la Knesset, Issam Makhoul, en 2003. Deux ans plus tard, dans la période du désengagement de Gaza, un soldat/colon, Natan Zada, a abattu 4 passagers dans un car se rendant dans la cité arabe/israélienne de Shafa’amr.
Des groupes comme les Fidèles du Mont du Temple, qui cherchent à faire sauter la mosquée d’Al-Aqsa et le Dôme du Rocher dans le Haram al-Sharif de la vieille ville de Jérusalem pour construire à leur place un troisième temple juif, sont peu confrontés aux actions du Shin Bet.
En revanche, le département Arabes du Shin Bet gère un vaste réseau d’informateurs palestiniens dans les territoires occupés et est ciblé par les groupes de défense des droits humains pour employer la torture visant à extorquer des informations aux détenus palestiniens.
En Israël, le département Arabes enquête régulièrement sur les citoyens palestiniens d’Israël, spécialement sur les mouvements islamiques connus pour leurs dons de bienfaisance dans les territoires occupés. Il harcèle aussi des partis politiques, comme l’Assemblée démocratique nationale d’Azmi Bishara, qui demandent l’égalité des droits.
A l’instar des Palestiniens des territoires occupés, les citoyens palestiniens risquent l’enfermement sur des preuves tenues secrètes.
Le chroniqueur bien connu d’Israël, Nahum Barnea, disait la semaine dernière que l’incapacité du Shin Bet à trouver et à arrêter les terroristes juifs provenait d’une « politique délibérée » et d’ « obstacles émotionnels » - une façon faussement modeste de suggérer que beaucoup au Shin Bet partageaient au moins certaines des valeurs des colons, même s’ils condamnaient leurs méthodes.
Le Professeur Sternhell a fait à peu près la même chose lors d’une interview à la radio depuis son lit d’hôpital quand il a rappelé qu’Yitzhak Shamir, alors qu’il était Premier ministre, avait défini l’ « underground » juif comme « d’excellents jeunes hommes, de vrais patriotes. »
Avec cette carence à faire appliquer la loi, l’extrême droite peut se livrer régulièrement et ouvertement à des activités en marge de la loi, souvent sans risquer sérieusement le châtiment. Beaucoup de ses dirigeants, tel Noam Federman, Itamar Ben GVir et Baruch Marzel, tous de Hébron, sont soupçonnés d’avoir des liens étroits avec le mouvement hors-la-loi Kach qui exige le nettoyage ethnique des Palestiniens de la région.
Mr Ben Gvir, qui dirige le groupe Front national juif, a nié l’implication de sa faction dans l’agression sur Mr Sternhell, mais il a refusé de la condamner.
Bien que le chef du Shin Bet, Avi Dichter, ait qualifié l’agression contre Mr Sternhelle d’ « agression terroriste nationaliste apparemment perpétrée par des juifs », on peut remarquer qu’aucun Israélien n’a demandé la démolition des maisons de ses auteurs.
Cela contraste fortement avec les réactions, la semaine dernière, après qu’un jeune Palestinien ait lancé sa voiture sur un groupe de soldats israéliens près de la vieille ville de Jérusalem. Les politiciens israéliens ont exigé que la maison du jeune soit détruite et que se famille sois sans abri.
Dans le tollé général contre l’agression à la bombe de la semaine dernière, il revenait au Professeur Sternhell de rappeler aux Israéliens qu’en réalité le terrorisme juif était surtout dirigé non contre des gens comme lui mais contre les Palestiniens.
(*) Underground : mouvement ou milieu clandestin qui se situe en dehors des circuits traditionnels, généralement dans le domaine artistique, mais aussi criminel (ndt).
Jonathan Cook est écrivain et journaliste. Il vit à Nazaretz, Israël. Ses derniers livres sont : Israel and the Clash of Civilisations : Iraq, Iran and the Plan to Remake the Middle East (Pluto Press) et Disappearing Palestine : Israel’s Experiments in Human Despair (Zed Books). Son site : http://www.jkcook.net
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