Evariste Galois
(25 octobre 1811-31 mai 1832)
Ce qui fait peut-être la grande popularité de ce génial et précoce mathématicien, c’est vraisemblablement son charmant et désuet prénom : Evariste. Saint Evariste fut pape de 97 à 105 et martyr sous Trajan. Sa fête est célébrée le 26 octobre, précisément le lendemain du jour anniversaire de la naissance de Galois. Est-ce la raison du choix de ce prénom ?
Il est né à Bourg-la-Reine, dans une famille de notables aisés et cultivés : son père était maire de cette commune où il dirigeait une pension pour jeunes gens. Sa mère, fille d’un juriste, était férue de latin. Ses parents s’intéressaient à la littérature, la philosophie et la théologie.
Evariste fut formé par sa mère jusqu’à l’âge de 12 ans. Puis, il fut envoyé au Collège Royal de Louis-le-Grand (lycée Louis-le-Grand), où il entra directement en 4ème. Pendant les deux premières années, il y brilla et eut des prix en latin et grec. Puis il changea d’intérêt pour se tourner résolument vers les mathématiques : sa véritable vocation s’était affirmée. Il se mit à lire les œuvres de Legendre, Lagrange, Gauss….. C’est probablement à ce moment qu’il lit le célèbre papier de Lagrange (Berlin, 1770) : « Réflexions sur la résolution algébrique des équations », qui devait inspirer toute son œuvre. Mais son professeur de mathématiques ne sut reconnaître son talent et nota seulement qu’il négligeait son travail scolaire, qu’il était immensément fier et qu’ « il était toujours en train de faire ce qu’il ne devait pas faire ».
Il obtint cependant le premier Prix de mathématiques au Concours Général de 1826.
Très conscient de sa valeur, Evariste décida alors de préparer tout seul le concours de Polytechnique, en 1828. Il fut collé et ressentit cet échec comme une énorme injustice. Mais, on lui fit la faveur de l’admettre en classe de mathématiques spéciales, où il eut la chance d’avoir un grand professeur : Louis Richard. Celui-ci sut apprécier l’originalité et la beauté de son travail. En 1829, Galois publia un article dans "les Annales" de Joseph Gergonne sur la représentation par certaines fractions (dites "continues") des racines des équations.
Ce n’était pas sa première publication. Il avait, auparavant, publié un autre article où il pensait avoir établi une propriété fondamentale des fonctions. Malheureusement, un mathématicien tchèque, Bernhard Bolzano, grand analyste, remarqua l’erreur et montra par un contre-exemple que cette propriété n’était pas vraie. Cette erreur était probablement due au fait qu’à cette époque on ne possédait pas les bonnes définitions relatives aux fonctions. Précisons que Bolzano ne publia pas ce contre exemple, et il fallut attendre 1872 pour que la question fût tranchée publiquement par le mathématicien allemand Karl Weierstrass.
Galois soumit aussi, en juin 1829, un mémoire à l’Académie des Sciences sur la théorie des équations algébriques. Ce mémoire fut perdu par Cauchy. Il envoya une seconde copie une semaine plus tard qui fut aussi perdue. Il tenta de les récupérer, en vain. C’est à ce moment qu’il apprit le suicide de son père, le 2 juillet 1829, victime de calomnies et d’agitations politiques qui lui étaient hostiles.
D’autre part, il fut encore refusé à sa seconde tentative à Polytechnique. Pourtant, c’était certainement le meilleur candidat. Heureusement, il y avait une autre école : "l’Ecole Préparatoire", moins prestigieuse à l’époque, devenue aujourd’hui l’Ecole Normale Supérieure. Galois eut la chance d’être admis en février 1830, malgré la forte opposition d’un examinateur, mais compensée par la très bonne note (8/10) que lui donna un autre examinateur. Galois célébra son premier semestre à l’Ecole en publiant trois articles dans le Bulletin des Sciences Mathématiques de Férussac sur la résolution des équations algébriques et sur la théorie des nombres. Les résultats étaient donnés sans démonstration. Il apprit par un article de ce journal qu’un mathématicien norvégien, Niels Abel, avait obtenu des résultats qui recoupaient les siens. Alors il présenta tous les détails de sa méthode dans un mémoire à l’Académie des Sciences pour concourir au Grand Prix en mathématiques. Ce mémoire fut perdu : une certaine confusion régnait à l’Académie à la suite du décès de son Secrétaire Perpétuel, Joseph Fourier et du départ de Cauchy ; celui-ci, farouche royaliste légitimiste, quitta la France à la suite des journées révolutionnaires de juillet 1830. L’Académie des Sciences décernera le prix à Abel (à titre posthume, le prix étant remis à sa mère) et à l’Allemand Jacobi.
C’est la Révolution de juillet 1830 qui marque l’engagement politique de Galois. Républicain enragé, doté d’un tempérament fougueux et orgueilleux, mais aussi d’un mauvais caractère, il court à sa perte. Les élèves de l’Ecole sont consignés dans les locaux. Il publia un texte contre la direction de l’Ecole où il dit notamment : « Tout chez notre directeur montre l’étroitesse des idées et la plus complète routine », ce qui entraîna son expulsion le 13 janvier 1831. Il rejoint la Garde Nationale, qui est dissoute peu après. Le 17 janvier, à l’invitation de Poisson, il remet à l’Académie une nouvelle version de son précédent mémoire intitulé : « Conditions de résolubilité des équations par radicaux ». Poisson et Lacroix sont chargés de l’étudier. Mais leur rapport du 4 juillet 1831 est négatif : ils le trouvent « peu clair », tout en reconnaissant qu’ils sont « incapables de le comprendre »…
Pendant ce temps, début mai 1831, Galois, lors d’un banquet en faveur de la Garde Nationale, avait proféré des menaces à l’encontre du Roi, ce qui lui valut d’être appelé : « l’homme le plus dangereux de France ». Emprisonné pendant un mois, il est finalement acquitté. Mais le 14 juillet, menant une manifestation républicaine, il est arrêté à nouveau arrêté et condamné à 6 mois de prison : il en fera 9 et sera relâché en avril 1832. C’est alors qu’il tombe amoureux d’une jeune fille (Stéphanie Poterin du Motel?), dont le père était un médecin de la clinique où il avait été placé en raison d’une épidémie de choléra. Début mai, celle-ci le repousse...
Il se prit alors d’une obscure querelle, étrangère à la politique, avec certains des agitateurs rencontrés en prison.
Cette querelle aboutit au duel du 30 mai 1832 où il devait être grièvement blessé: il perdit la vie le lendemain, à vingt ans et sept mois.
Pendant les quatre jours qui précédèrent le duel, Galois, prévoyant le sort fatal qui l’attendait, jeta sur le papier, sous la forme la plus condensée, toutes les idées qu’il avait à l’esprit et dont la publication posthume, en 1846, par Joseph Liouville, devait amener une des révolutions les moins prévues et les plus profondes de l’histoire des mathématiques. Le cœur de la découverte de Galois, la notion de groupe, ouvrait un domaine entièrement nouveau et allait s’implanter dans toutes les branches des mathématiques, aussi bien en géométrie, qu’en algèbre ou en analyse, et même en physique théorique.
D’une façon surprenante, la théorie de Galois, aussi générale et abstraite soit-elle, devait, à partir du milieu du XXème siècle, être le fondement d’applications extrêmement concrètes, notamment dans le domaine du traitement de l’information.
Ainsi, en télécommunications, c’est elle qui a permis le développement des communications numériques, que ce soit la téléphonie mobile (GSM), les liaisons Internet ou la télévision. De même, en cryptographie, elle est essentielle pour la conception et l’analyse des codes secrets.
Bien que fauché à vingt ans par le destin, Evariste Galois est venu prendre rang parmi les plus grands mathématiciens de l'Histoire. Sa vie sociale, politique, comme sa vie personnelle, ne fut pas heureuse, en dépit (ou à cause?) de son intelligence solaire, hors du commun, et de ses dons fulgurants dans le domaine mathématique.
Et c'est bien avec raison qu'on peut parler du "miracle de Galois".