Le juge Renaud van Ruymbeke, poursuivi devant le Conseil de la magistrature pour sa gestion de l'affaire Clearstream, a été mis sur le gril, mardi devant le tribunal correctionnel de Paris, où il n'intervenait pourtant qu'en tant que témoin.
"Je suis totalement étranger à l'affaire Clearstream", a martelé quatre heures durant le magistrat, fines lunettes et cravate bleu ciel.
"A l'époque, j'étais dans le brouillard. C'est facile de refaire l'histoire des années après. Je travaillais sur l'affaire des frégates, le reste je n'avais pas à m'y intéresser. Je n'en étais pas saisi", a encore témoigné ce moustachu de 57 ans devenu une figure emblématique de la justice financière en instruisant notamment l'affaire des frégates de Taïwan, où il s'est heurté à de nombreuses reprises au secret-défense.
C'est dans le cadre de cette affaire qu'il a été contacté par Jean-Louis Gergorin en avril 2004, par l'intermédiaire de l'avocat Thibault de Montbrial.
Alors vice-président d'EADS et aujourd'hui co-prévenu au procès Clearstream, Gergorin se dit menacé de mort : il a des révélations à faire sur l'existence d'un réseau de corruption, étayées, selon lui, par des listings bancaires issus de la chambre de compensation Clearstream, sur lesquels figurent des noms de personnalités qui y détiendraient des comptes occultes.
Intrigué, le magistrat rencontre alors à deux reprises au domicile de l'avocat, Jean-Louis Gergorin, un homme "très brillant, convaincu et convaincant", qui lui semble "de bonne foi".
Problème, le responsable d'EADS refuse de témoigner sous X, craignant pour sa sécurité. "J'étais bloqué", témoigne le magistrat. "C'est vrai qu'à un moment donné, M. Gergorin me dit: "comment est-ce qu'on fait ?" Je lui réponds: "Ca ne me concerne pas, vous voyez avec votre avocat". Je prends à part Me Montbrial : "vous faites ce que vous voulez, ce n'est pas mon problème".
Quelques jours plus tard, le 3 mai, il reçoit un premier courrier anonyme. L'affaire de dénonciation calomnieuse est lancée.
Trois courriers suivront : l'un, le 14 juin, concerne des "centaines de noms qui n'ont rien à voir avec les frégates", dont celui de Nicolas Sarkozy. Le juge les verse au dossier des frégates, les rendant ainsi accessibles à "Thales et à ses avocats".
Or à l'époque, Me Thierry Herzog, aujourd'hui avocat de Nicolas Sarkozy, est conseil de Thales. A ce titre, certains avocats des prévenus ont suggéré mardi, à demi-mots et sans jamais citer son nom, qu'il en avait profité pour avertir Nicolas Sarkozy qu'il figurait dans les listings.
Des insinuations qui ont provoqué une vive querelle parmi les avocats, bagarre soldée par une rapide intervention du bâtonnier élu.
Autre zone d'ombre abordée mardi : le silence de Philippe Marland, directeur de cabinet du ministre de la Défense, et de Michèle Alliot-Marie.
Tenus régulièrement informés par le général Rondot de son enquête sur les listings Clearstream, ils n'ont en effet jamais pris la moindre initiative pour stopper la machination.
M. van Ruymbeke a confirmé mardi que ni M. Marland ni son ministre ne l'avaient jamais appelé pour l'avertir de cette enquête parallèle.
Ce n'est qu'en 2005 que les résultats des commissions rogatoires internationales lancées par le juge l'ont amené à douter de la véracité des listings. Mais il taira l'identité du "corbeau" Gergorin jusqu'en mai 2006.
Un silence, ajouté aux rencontres hors procédure avec Gergorin, qui ont entraîné son renvoi devant le CSM.
"Je n'ai jamais convenu avec Jean-Louis Gergorin de procéder par courriers anonymes", c'est lui qui a choisi d'agir ainsi, s'est défendu mardi M. van Rumbeke, certain d'avoir fait son travail "le plus sérieusement possible".
AFP. 06.10.09