Rédacteur : Damien le 19 juillet 2012 à 14:39
Témoignages de professionnels de la Santé qui pointent les dérives de l’Aide médicale d’État.
Cette fois-ci encore, les médecins ne lui ont rien trouvé. Depuis un an et demi, Abukaria*, jeune Comorienne de 33 ans, entrée en France en touriste, séjourne illégalement sur le territoire français. «C’est pour me faire soigner, confie-t-elle. L’hiver dernier, j’ai eu des fourmis dans les mains. Parfois, ça me reprend. J’ai vu des généralistes, des spécialistes, fait des radios, des scanners, mais personne n’y comprend rien…» Grâce à l’aide médicale d’État (AME), Abukaria, tout comme 220 000 clandestins en 2011, n’a payé cette année qu’un droit de timbre de 30 euros.
Au Centre médical Europe, près de la gare Saint-Lazare, des «AME», on en croise à tous les étages. Et chez les médecins débordés, on sent poindre une certaine exaspération. «Beaucoup sont charmants, mais d’autres sont très exigeants!, soupire une généraliste. Il est normal que la France soigne les plus misérables, sauf que certains abusent vraiment.» Il y a cette femme qui vient faire un bilan complet tous les deux mois. Cette autre qui a exigé la sclérose de ses varicosités, ainsi que six paires de bas de contention, «pour sa sœur en Algérie». Ces Africaines qui savent mieux que la dermatologue quelle crème guérira leur eczéma: le Diprosone, un dermocorticoïde qui a la particularité d’éclaircir la peau… Il y a aussi cette patiente victime d’un malaise, dont on prévient le mari, qui constate, ahuri… que ce n’est pas sa femme. «Ah oui, explique la patiente, j’ai perdu ma carte, alors j’ai pris celle d’une amie…»
«On a failli en venir aux mains!»
La plupart des médecins déplorent le manque de contrôle. Pour obtenir l’AME, «c’est superfacile!», témoigne Abukaria. Il suffit de justifier d’une résidence ininterrompue de trois mois en France, et d’un revenu inférieur à 634 euros par mois. Pour «prouver» qu’elle n’avait aucune ressource, Abukaria a simplement montré que le forfait de son portable n’était qu’à 5 euros… «La semaine dernière, j’ai reçu un homme qui voulait se faire arracher quatre dents, toutes saines, raconte un dentiste. En fouillant dans son dossier, j’ai vu qu’il était adressé par un service d’orthodontie, où il avait entamé un traitement esthétique pour aligner ses dents, facturé 4 000 euros! Rendez-vous compte que ce type bénéficie de l’AME et s’offre un service que n’ont pas les moyens de se payer la plupart des assurés sociaux! J’ai réussi à le faire payer pour les extractions, mais on a failli en venir aux mains!»
Comment admettre qu’«un assuré social lambda qui paye ses cotisations sociales, mais qui n’a pas de mutuelle, ait une moins bonne couverture qu’un étranger en situation irrégulière?», s’interrogent plusieurs praticiens du Centre Europe, qui voient défiler de nombreuses familles modestes. «Cela fonctionne comme un supermarché, témoigne le dentiste. À partir du moment où c’est gratuit, les gens veulent tout ce à quoi ils ont droit, même s’ils n’en ont pas besoin.» Comment tenir bon lorsque le patient, parfois accompagné d’un interprète ou d’un «cousin» costaud, s’énerve et exige «20 boîtes de Doliprane et 10 flacons de bains de bouche», puisque «c’est gratuit»? «Parfois on craque, avoue un médecin. De toute façon, si on ne cède pas, ils iront voir ailleurs…» Comme les bénéficiaires de l’AME n’ont pas de médecin traitant à déclarer, «cela entraîne un nomadisme et la multiplication d’examens redondants», poursuit-il.
Prêts à se faire opérer pour être régularisés
Car le système est pervers. «Plus ils ont d’ordonnances et de certificats, plus ils ont de chances d’être régularisés, explique un généraliste. C’est pour cela qu’ils veulent absolument qu’on leur trouve une maladie grave! Certains sont même prêts à se faire opérer quatre ou cinq fois… Il y a quelque temps, ils s’étaient passé le mot de manger avant les prises de sang, pour qu’on leur trouve du diabète!» Urologue et député UMP, Bernard Debré confirme: «Lundi, deux Turcs sont venus me voir, tous deux disant souffrir de brûlures urinaires, raconte-t-il. Mais leurs examens ne montraient rien! J’ai donc refusé de leur prescrire les antibiotiques et les analyses complémentaires demandés. En cas d’arrestation, cela leur aurait permis de dire “Regardez, je suis très malade, j’ai vu 50 médecins, je suis même allé jusqu’au Pr Debré pour me soigner!”»
Il y a trois ans, c’était un député malien qui lui avait demandé de l’aide. «Sa première épouse avait déjà fait une FIV ici, en payant, se souvient le Pr Debré. Il voulait une autre FIV pour sa seconde épouse, en situation irrégulière, donc à l’AME. J’ai refusé. Il fallait du courage, car à l’époque, c’était théoriquement possible!» En 2011, après l’instauration du forfait annuel de 30 euros, le gouvernement a également restreint le panier de soins: en sont désormais exclues la procréation médicalement assistée et les cures thermales…
Durées d’hospitalisation plus longues
«Des mesures qui visaient à ralentir la progression des dépenses liées à l’AME», rappelle l’ancien ministre de la Santé, Xavier Bertrand. Car depuis son entrée en vigueur il y a douze ans, le coût du dispositif a explosé: 588 millions d’euros en 2011, contre 75 millions dans le budget 2000! Pour expliquer cette courbe exponentielle, le rapport parlementaire de Claude Goasguen (UMP) et Christophe Sirugue (PS), publié en 2011, «exclut la fraude caractérisée». «Les causes sont plutôt dues à la croissance du nombre de bénéficiaires, avancent les deux députés, et aux modalités de la tarification hospitalière».
La seule facture hospitalière pèse pour trois quarts des dépenses. En contrepartie de cette «mission d’intérêt général», les hôpitaux ont tendance à surfacturer les soins accordés aux sans-papiers. «Il est pour le moins surprenant qu’une séance de dialyse coûte 349 euros en général mais 990 euros à l’APH de Paris pour les patients AME et 1 815 euros à Marseille!», souligne le député UMP Dominique Tian. Comme le note le rapport, «l’hôpital, aujourd’hui, n’est parfois pas incité à une sortie rapide du patient d’un service coûteux en raison du caractère journalier de la facturation. Cela peut conduire à des durées d’hospitalisation des bénéficiaires de l’AME sensiblement plus longues que la moyenne…»
En tout cas, même si personne n’a su mettre de nom sur ses mystérieux picotis, Abukaria est «satisfaite de sa prise en charge médicale». Et bien décidée à rester en France. «Si les médecins ici ne trouvent pas ce que j’ai, lâche-t-elle, vous pensez bien qu’aux Comores ils ne trouveront pas plus!»
Suite et source : Le Figaro, Merci à Billy
Défrancisation