Jean-Vincent Brisset : Même s'il y avait bien sûr des contentieux, notamment économiques, entre les deux pays, il n'y avait pas de fixation avant l'affaire du passage de la flamme olympique à Paris. Pour comprendre pourquoi ils appuient sur la France désormais, il faut connaître la mentalité des Chinois : ils marchent au rapport de force. Quand Bush, Brown ou Merkel rencontrent le dalaï lama, ils le disent clairement, ne changent pas d'avis et ne cherchent pas à s'excuser. Leur politique vis-à-vis de la Chine est donc stable.
Or celle de la France a toujours été changeante. Par exemple en 1993, quand on a vendu des armes à Taïwan, on a multiplié les excuses. C'est interprété comme un aveu de faiblesse.
Après le passage de la flamme, on a recommencé en envoyant trois délégations : tout d'abord une lettre d'excuse de l'ambassadeur, ensuite la visite de Raffarin avec un cadeau, et enfin celle du conseiller diplomatique de Nicolas Sarkozy.
Les Chinois ont alors considéré que la France était un pays faible et qu'elle avait fait preuve de vassalité à leur égard. Comme ils ont peur d'une Europe forte, ils ont trouvé son point faible, qui, cerise sur la gâteau, en est le président en exercice. Et ils prennent comme prétexte la rencontre avec le dalaï lama pour recommencer en tapant encore plus fort.
LCI.fr : L'an passé, lors de sa première visite en Chine, vous nous aviez expliqué que les Chinois craignaient Sarkozy. Ce n'est donc plus le cas ?
J.-V. B. : Tout à fait. Par rapport à Jacques Chirac, il est arrivé avec un nouveau mode de fonctionnement. En entrant à l'Elysée, il avait une image d'homme fort. Les Chinois le craignaient. Donc ils ont signé des contrats, comme ils le font à chaque fois lorsqu'ils craignent un dirigeant étranger. Aujourd'hui, la situation est totalement différente.
LCI.fr : Pourquoi la Chine a-t-elle peur de l'Europe ?
J.-V. B. : La Chine et l'UE ont beaucoup de contentieux économiques, comme la sous-évaluation du yuan, le déficit commercial à l'avantage de Pékin, les quotas ou encore la propriété intellectuelle et la contrefaçon. Face à une Europe unie, sa marge de manœuvre dans les discussions est limitée. Pour l'augmenter, elle doit donc la diviser car une Europe divisée ne réagit pas. Et elle a trouvé cette marge de manœuvre avec la France. Elle peut désormais très bien dire : "Si on ne vous achète pas d'Airbus, c'est à cause du Français". Les attachés commerciaux vont quant à eux faire jouer la concurrence entre la France et par exemple l'Espagne ou l'Italie. Bref, si l'Europe s'unit, elle s'en sortira. Sinon, ce sera coûteux pour tout le monde.
08.12.08
Ancien auditeur du Centre des Hautes études pour l'Afrique et l'Asie Moderne, il est un spécialiste de l'Asie, où il a effectué de nombreuses missions, et plus particulièrement du monde chinois.
Ayant quitté le service actif le 1er août 2001, il travaille sur les problèmes généraux relations internationales et de défense.
IRIS: Institut des Relations internationales et stratégiques