On parle si peu de Nicolas Sarközy que certains lui ont trouvé un double : Jean-François Copé. Il est régulièrement suggéré que c’est l’autre, avec dix ans de moins : maniaque, petit aboyeur, libéral, embusqué, tout tapissé de parler-vrai. En réalité, avec quinze centimètres de plus, ce n’est pas du tout Sarközy. Elevé dans les beaux quartiers, animé par une convivialité froide et concentrée, l’ancien «bébé-Chirac» semble, à 44 ans, avoir trempé son personnage dans une jovialité tenue. Aimable, droit dans la silhouette, inégalement dégarni, jamais il ne déborde : ni plainte, ni familiarité. Son naturel sensible et crispé alimente ses calculs, qui s’unissent à une mémoire instantanée. Copé est un professionnel de la réaction, doué d’un sens gourmand du combat.
Evacuons d’emblée les vérités ordinaires : le député-maire de Meaux est de "droite", ambitieux, et vient d’être réélu dans sa ville par 67 % des habitants. Président du groupe UMP, il apprend, ces temps-ci, à «chauffer à mort» ou à canaliser comme il peut ses troupes : «Un député, dans ses deux premières années, c’est l’épisode autobiographique majeur, l’émerveillement. Ensuite…» La vanité qui s’ennuie est toujours de mauvaise humeur.
Ses relations avec le Président sont depuis longtemps armées, ambiguës, intimes : brouille, vacances à la Baule, nouvelle brouille, dîners à quatre, engueulades à deux. Elles ne se résument pas, ou pas encore, à deux coqs en piste. Il est aussi avocat-médiateur chez Gide, l’un des gros cabinets d’affaires. Il a prêté serment huit jours après la formation du gouvernement Fillon, auquel, ancien ministre du Budget, il n’appartenait pas. Des amis lui conseillèrent une fois de plus d’être patient. Copé doit habiter le temps perdu pour bâtir mieux qu’une image, plus que des convictions : une identité.
Au milieu des années 80, ce jeune t
ype hâbleur appartient, «pour se marrer», au Caca’s club de Frédéric Beigbeder, qui se souvient de lui «en tenue radioactive dans une soirée Tchernobyl. Il n’était déjà pas drôle et venait sans doute pour se détendre». A Sciences-Po, il suit le cours d’anglais pour les nuls. Un condisciple se souvient : «Il avait déjà les codes, le costume, la cravate, les lunettes d’écaille. Un jour, il a dit : "I want to be président de la République." Il le disait en riant, parce qu’il est joyeux, mais on savait que c’était vrai, parce qu’il ne cache pas son jeu.»Jeune, il a voyagé aux Etats-Unis avec parents, sœur et frère. Isabelle est désormais avocate ; Jean-Fabrice, de seize ans plus jeune, a fait HEC et étudie à Singapour. Le dernier voyage familial en commun a eu lieu en 1989 en Argentine. Leur père, le proctologue Roland Copé, pionnier de la chirurgie de l’anus, aime ce pays. Il est ami avec le metteur en scène Jorge Lavelli comme il le fut avec l’acteur Jean Poiret. Roger Carel est parrain de sa fille. A Meaux, son fils a inauguré un square Daniel-Ceccaldi. On sait se divertir chez les Copé.
Dans l’après-guerre, dit le père, «on m’appelait le toubib du théâtre». Il rêvait d’être acteur et, après les représentations, traînait en coulisses. Jean-François, enfant, a joué l’Avare. Depuis qu’il est en retraite, Roland Copé fait du théâtre. Il a joué Poincaré dans un épisode des Brigades du Tigre. A 78 ans, il en paraît quinze de moins et aime toujours danser le tango. Son énergie paraît sanglée ; ses passions, séchées en discipline. Si la fantaisie rôde, elle ne domine rien - comme chez le fils.
Enfance de Copé, racontée par sa sœur Isabelle : «Nous rentrions de l’école, l’infirmière nous ouvrait. La porte du salon était fermée car il servait de salle d’attente. Nous rejoignions nos chambres en silence. Notre père, élégant, tout en blanc, venait nous voir entre les patients.» Jean-François précise en souriant : «Il ne me serait pas venu à l’idée de rentrer avec de mauvaises notes. Un regard de mon père suffisait.» Il vénère alors le tennisman roumain Ilie Nastase, joue du piano électrique, travaille sans cesse, fait des maquettes Heller, ne danse pas. Son père lui parle tant de la Seconde Guerre mondiale qu’à 8 ans il la choisit comme sujet de rédaction. La maîtresse, surprise, convoque les parents.
En 1926, un jeune médecin roumain nommé Copelovici arrive en France. Sa famille, juive d’origine russe, s’est installée à Iasi (Roumanie) au XIXe siècle. L’antisémitisme provoque le départ. Le grand-père paternel de Jean-François Copé reprend ses études en France, devient médecin généraliste à Paris. La grand-mère, française, est également d’une famille juive d’origine roumaine. L’humour yiddish et la peinture les environnent. Un ami (?) a organisé en France la première vente publique des impressionnistes. Le parrain de Jean-François Copé est un galeriste célèbre. A 99 ans, la grand-mère Copé aime encore chanter.
Lorsque vient la guerre, le grand-père, naturalisé français, envoie la famille sur la Loire, à Beaugency. Roland Copé vit à 10 ans l’exode à pied : «Les gens fuyaient comme des fous. Les soldats pleuraient. Je vois encore les cadavres, comme collés aux arbres.» La famille arrive à Toulouse, où vit un oncle. Le grand-père reprend son activité de médecin. Plus tard, la famille se réfugie à Aubusson, dans la Creuse. Père et fils aident la Résistance. Le père soigne la fille épileptique des fermiers qui les hébergent. «Nous avons trouvé là-bas des gens formidables», conclut Roland. En 1976, il refait le voyage de la Creuse avec Jean-François et Isabelle. Il retrouve les lieux, les gens ou leurs enfants. «Il pleurait», se souvient son fils. Quand Jean-François Copé évoque une histoire intime, son sourire finit par ressembler à une grimace. Il ne sait sur quel ton parler de lui.
Sa mère, Monique Ghanassia, affiche une bonté inquiétante et organisée. Elle a voué sa vie à la famille et au travail de son mari, dont elle était assistante et montait les films d’opération destinés aux étudiants et collègues : «C’est une spécialiste des films de cul !» s’amuse-t-on dans la famille. Née en Algérie d’un père avocat, elle part un jour faire des courses avec sa meilleure amie. Elle a 10 ans. Un oubli, elle remonte chez elle. Son amie l’attend dans la rue, près d’un réverbère. Il saute : c’est l’un des premiers attentats du FLN à Alger. Plus tard, la famille rejoint la France. Du côté maternel, on n’apprécie guère De Gaulle ; du côté paternel, on l’admire. «Il y avait parfois de l’ambiance, se souvient Jean-François, et c’est un miracle qu’il n’y ait eu personne dans l’OAS.» La légende familiale dit qu’à 9 ans l’enfant admirait Pompidou. C’est si bizarre que ce doit être vrai. Si l’énergie de Copé est la sienne, son histoire est encore celle des autres.
A l’ENA, il fut un honnête bûcheur. Il en sort 35e sur 140. Il a appartenu au Banquet républicain, un club fondé par des anciens de son lycée parisien, Victor-Duruy. Ses amis sont banquiers, haut fonctionnaires, directeurs de grandes entreprises. Il connaît de près certains journalistes de compagnie : Anne Fulda, Christophe Barbier. Sa femme Valérie, conseillère en communication, est la fille d’un ancien directeur du CNRS. Il l’a rencontrée dans une soirée au Palace, à la fin des années 80. Ils ont eu trois enfants.
(Source: Libération 16 mai 2008)
Tous médecins, avocats, banquiers, et même président...